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Espagne: quand les victimes de l’ETA rencontrent les ex-terroristes

Le Vif

La libération de la militante basque Inés del Rio, après 26 ans de prison pour 23 assassinats, soulève la question de la douleur des victimes du terrorisme. Il y a quelques années, un programme de médiation mettant face à face victimes et détenus a été lancé en Espagne. LeVif.be a interrogé l’une de ses responsables.

La Cour européenne de Strasbourg a condamné l’Espagne pour prolongation illégale de détention et de la militante d’ETA Inés del Rio, qui a fait 26 ans de peine pour 23 assassinats. Elle a été libérée immédiatement et quelques 136 autres détenus purgeant de longues peines pour terrorisme pourraient eux aussi sortir très prochainement. Ces libérations mettent en émoi l’Espagne et tout spécialement les associations de victimes, indignées de constater que « le crime n’est pas cher payé ».

Deux ans après l’arrêt de la violence par ETA, le terrorisme qui a fait près de 1000 victimes et laissé quelques 800 personnes en prison continue de fracturer la société espagnole. C’est ce contre quoi luttait le programme de médiation raconté dans le livre « Los ojos del otro « , (Les yeux de l’autre) , coordonné par Esther Pascual, en mettant face à face victimes et détenus.

Quelle est l’origine du projet ?

Esther Pascual: Tout est parti d’un groupe de prisonniers qui ont exprimé leur désir de rencontrer des victimes du terrorisme, pour leur demander pardon de la souffrance qu’ils avaient causée. C’était une demande un peu vague, eux le voyaient comme un processus collectif. On s’est dit qu’il était important d’en faire des « vraies » rencontres, de personne à personne. Je me suis impliquée en tant que médiatrice pénale aux côtés du bureau d’aide aux victimes du Pays Basque. 14 rencontres ont eu lieu.

Pourquoi le livre s’appelle-t-il Les Yeux de l’autre?

Parce qu’il s’agit de la sincérité. C’est une question qui revenait dans les réunions de préparation aux rencontres: « Je le regarderai dans les yeux et je lui dirai… », « Et ses yeux, comment sont-ils ? », ou bien « Comment dois-je me comporter, est-ce que je pourrai le regarder dans les yeux ? »

Comment se sont déroulées les entrevues?

Le cadre était fixé. Il était bien clair que le détenu n’en tirerait aucun bénéfice carcéral et que la victime n’était pas obligée de pardonner. Le prisonnier racontait son parcours, comment il était entré dans l’ETA, ce qu’il y a fait. En face de lui, la personne n’est pas forcément sa victime directe. Elle lui raconte comment la vie s’est arrêtée quand d’autres, comme lui, ont tué son mari ou son père… elle lui dit tout ce qu’elle aurait voulu dire à l’assassin. Parce qu’entre le crime et le châtiment, il faut aussi une place pour la victime. Les entretiens duraient quatre heures et les gens ne se voyaient qu’une fois. Mais je sais que plusieurs sont restés en contact par la suite.

Les entretiens ont eu lieu entre 2011 et 2012, dans une très grande discrétion. Alors, pourquoi publier un livre aujourd’hui?

Parce que l’expérience s’est arrêtée, sans explication. L’administration pénitentiaire mise en place par le gouvernement actuel (PP) ne permet plus aux prisonniers de participer. Les rencontres préparées de longue date ont dû être suspendues.
Nous avons voulu raconter ces rencontres parce qu’elles sont importantes pour la société basque qui doit affronter ses responsabilités et construire la paix. C’est aussi un appel aux gouvernants, pour leur rappeler qu’il existe aussi une justice « restauratrice ».

Les associations de victimes se sont montrées très critiques face à vos rencontres

Je comprends que cela puisse leur paraitre douloureux et personne n’est obligé de participer à ce type de rencontre. Mais elles doivent aussi respecter ceux qui le souhaitent. Quand l’expérience a commencé à être divulguée par la presse, nous avons été contactés par des victimes qui voulaient y participer. Certaines demandaient à rencontrer des militants d’ETA incarcérés en France… le gouvernement français sera peut-être plus réceptif que l’actuel gouvernement espagnol!

La décision de la cour des droits de l’homme de Strasbourg a ravivé la colère…

Au lieu d’entretenir la haine, il faut aider à faire le deuil et à chercher d’autres mécanismes de réparation. La prison doit aussi préparer à la réinsertion des prisonniers. Les victimes doivent admettre qu’un jour, ces gens sortiront forcément de prison. Et il vaut mieux qu’ils aient fait un travail sur eux même, plutôt que de sortir en étant persuadé d’être un héros.

Propos recueillis par notre correspondante Cécile Thibaud

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