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Espagne: Garzon, la dernière victime de Franco ?

Poursuivi par deux associations d’extrême droite, Baltasar Garzon est accusé d’avoir enfreint la loi d’amnistie votée en octobre 1977 en Espagne.

Le juge espagnol est jugé ce mardi pour avoir enfreint la loi d’amnistie sur la période franquiste, en tentant de faire la lumière sur le sort de 114.000 disparus. Le parquet du Tribunal suprême de Madrid a repris en grande partie l’argumentation de la défense.

Le tabou du franquisme résiste en Espagne. Le juge espagnol Baltasar Garzon, soutenu en masse par les défenseurs des droits de l’Homme, est jugé à partir de ce mardi pour avoir voulu enquêter sur le sort des disparus de cette période sombre de l’histoire espagnole. Le juge Garzon, suspendu de ses fonctions depuis mai 2010, risque une interdiction d’exercer de 20 ans au maximum. Mais le parquet du Tribunal suprême de Madrid a demandé mardi que ce procès soit « classé », reprenant en grande partie l’argumentation de la défense du magistrat.

Une sanction mettrait un point final à la carrière hors du commun de ce magistrat hyperactif de 56 ans, mondialement connu pour avoir fait arrêter en 1998 à Londres l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet.

Mais dans son propre pays, sa quête d’une « justice universelle » s’est heurtée aux démons du franquisme. Saisi en 2006 par des associations de défense de victimes, il avait tenté d’ouvrir ce douloureux dossier et de faire la lumière sur le sort de 114.000 disparus avant de renoncer en 2008 face à l’opposition du parquet qui dénonçait le risque d’une « inquisition » incompatible avec un Etat de droit.

Poursuivi par deux associations d’extrême droite, il est accusé d’avoir enfreint la loi d’amnistie votée en octobre 1977, deux ans après la mort de Francisco Franco, qui était censée imposer un pacte du silence sur les années noires de la Guerre civile (1936-39) et de la dictature (1939-75).

Son argumentation, fondée sur les principes des tribunaux internationaux qualifient ces disparitions forcées de civils de crimes contre l’humanité imprescriptibles et qui échappent à ce titre, à la loi d’amnistie.

« Manque d’impartialité » du juge instructeur

Après la lecture de l’acte d’accusation ce mardi, l’avocat de Baltasar Garzon, maître Gonzalo Martinez Fresneda, a réclamé l’annulation du procès. Il accuse le juge instructeur, Luciano Varela, d’avoir « manqué d’impartialité » en aidant les deux associations d’extrême droite, Manos Limpias et Libertad e Identidad, à rédiger leur acte d’accusation. La défense réclame en outre l’annulation du procès, car seules ces deux associations incarnent l’accusation, et non pas des parties civiles qui seraient directement lésées par les agissements du juge.

Le parquet soutient ces deux arguments. Si ceux-ci ne sont pas retenus par le tribunal, le juge présentera comme prévu sa déposition le 31 janvier, puis le procès verra défiler 22 témoins, tous cités par la défense au nom des familles de disparus.

« Lynchage » judiciaire
Les poursuites ouvertes contre le juge suscitent la polémique en Espagne et rappellent que la page du franquisme n’est pas complètement tournée, malgré une loi votée en 2007 afin de réhabiliter les victimes.

Ses partisans dénoncent un complot politique, d’autant que le parquet lui-même a demandé dans ses réquisitions préliminaires que l’accusé soit blanchi, estimant que sa tentative d’enquête ne justifiait pas les poursuites. De multiples organisations des droits de l’Homme, dont Amnesty International et Human Rights Watch, se sont mobilisées pour le soutenir, dénonçant un « lynchage » judiciaire. Parallèlement, Baltazar Garzon est jugé depuis le 17 janvier pour avoir ordonné des écoutes de conversations entre des suspects incarcérés et leurs avocats, en violation des droits de la défense, dans une enquête sur un réseau de corruption qui avait éclaboussé en 2009 la droite espagnole.

LeVif.be avec L’Express.fr

Les grandes causes de Baltazar Garzon

Le très médiatique magistrat espagnol, célèbre pour avoir fait arrêter Augusto Pinochet, est sur la sellette pour avoir rouvert le dossier délicat du franquisme. Retour sur les grandes dates de sa carrière. 1955 : naissance à Torres, dans la province de Jaén (Andalousie).

1988 : il devient juge titulaire du tribunal central numéro 5 de l’Audience nationale, à Madrid, principale juridiction pénale du pays. Il enquête sur les narcotrafiquants galiciens, l’ETA et les Groupes antiterroristes de libération (GAL), groupe de mercenaires créé pour lutter clandestinement contre ETA.

1989 : sa collègue de l’Audience nationale, Carmen Tagle, est assassinée par l’ETA.

1993 : nommé Conseiller du Premier ministre socialiste Felipe González, il démissionne onze mois plus tard, et s’attaque à divers scandales où sont impliqués de hauts dirigeants socialistes. Il est accusé, dans le cadre de son enquête sur le Gal, de vouloir la chute du gouvernement de Felipe Gonzalez.

1996 : le juge Garzon lance des enquêtes sur la disparition d’Espagnols pendant les dictatures argentines (1976-1982) et chilienne (1973-1990 ).

1998 : l’ancien ministre de l’Intérieur José Barrionuevo est emprisonné dans le cadre de l’ enquête sur les GAL.

Le juge demande la détention de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet pour « génocide », « tortures » et « terrorisme ». Celui-ci est arrêté à Londres le 16 octobre 1998.

Il fait fermer plusieurs journaux basques considérés comme vitrine de l’ETA.

2001: il demande au Conseil de l’Europe d’exclure le Premier ministre italien, Silvio Berlusconi, dans le cadre d’une enquête sur la chaîne Telecinco.

Le procureur de la République ouvre une enquête conte Baltasar Garzon. Il est soupçonné d’avoir révélé des informations couvertes par le secret de l’instruction dans sa biographie.

2002 : il suspend pour trois ans les activités du parti Batasuna, considéré comme dépendant d’ETA. Avec la fermeture de bars, de journaux et d’associations pro ETA, il est à l’origine de l’asphyxie de l’entourage du mouvement indépendantiste.

2003 : Baltasar Garzon lance un mandat d’arrêt international contre Ben Laden pour sa responsabilité dans les attentats du 11 septembre 2001.

2005 : l’ancien capitaine de corvette argentin Adolfo Scilingo est emprisonné en Espagne pour crimes contre l’humanité pour des crimes commis en Argentine pendant la dictature.

2008 : à la demande de familles de disparus, il ouvre la première instruction jamais menée en Espagne sur les 114000 républicains disparus sous le règne du général Franco (1939-1975). L’enquête qui enfreint la loi d’amnistie votée en 1977 est stoppée par l’Audience nationale.

2009 : pPlusieurs organisations d’extrême droite portent plainte contre lui. Le conseil espagnol de la magistrature envisage de le suspendre pour une période de dix à vingt ans. La Cour suprême ouvre la voie à une éventuelle inculpation du juge. Les magistrats l’accusent d’avoir délibérément outrepassé ses compétences juridictionnelles en choisissant d’enquêter sur les disparus de la guerre civile espagnole.

Avril 2010 : des manifestations de soutien à Baltasar Garzon rassemblent des milliers de personnes dans 28 villes d’Espagne, ainsi qu’à Londres, Paris, Lisbonne, Buenos Aires et Mexico.

Mai 2010 : le juge Garzon est convoqué par le Tribunal suprême. Il est suspendu de ses fonctions en attendant un procès, mais il est autorisé à se mettre en disponibilité pour devenir consultant auprès du tribunal pénal international de La Haye.

Octobre 2010 : Baltasar Garzón est mis en examen pour avoir ordonné des écoutes illégales, lors d’une enquête de corruption visant le Parti populaire.

Mars 2011 : le magistrat dépose une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. Il estime que les poursuites engagées à son encontre sur les crimes du franquisme violent les principes « d’indépendance des juges et de libre interprétation de la loi ».

Avril 2011 : le Tribunal suprême confirme que Baltasar Garzón sera jugé pour « prévarication » et « écoutes illégales ».

Juin 2011 : le juge est nommé « conseiller externe » de la Mission d’appui au processus de paix (MAPP) mise en place par l’Organisation des Etats américains en Colombie.

Janvier 2012 : ouverture des deux procès du juge Garzon pour écoutes illégales et pour avoir enfreint la loi d’amnistie votée en octobre 1977.

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