© Reuters

Erdogan veut rallier Trump à sa cause sur les Kurdes et Gülen

Le Vif

Le président turc Recep Tayyip Erdogan doit rencontrer pour la première fois mardi à Washington son homologue américain Donald Trump, qu’il espère rallier à sa cause sur plusieurs dossiers pour relancer des relations tendues depuis des mois.

Les rapports entre la Turquie et les Etats-Unis ont viré à l’orage à la fin de la présidence de Barack Obama, les deux pays s’opposant sur plusieurs dossiers, dont ceux concernant les milices kurdes syriennes YPG ou l’extradition du prédicateur Fethullah Gülen.

Les analystes préviennent qu’il sera difficile pour M. Erdogan de parvenir à faire bouger M. Trump sur ces questions, ouvrant la perspective d’un hiver prolongé dans les relations entre les Etats-Unis et la Turquie, deuxième armée en effectifs de l’Otan.

Le déplacement de M. Erdogan survient à un moment délicat, une semaine à peine après l’annonce par les Etats-Unis qu’ils livreraient des armes aux YPG qui combattent les jihadistes, ces mêmes milices kurdes qu’Ankara considère comme des « terroristes ».

Cette nouvelle, ainsi que son timing, ont sonné Ankara, où l’élection de M. Trump avait fait naître l’espoir d’une « nouvelle page » dans les rapports entre les deux pays, basés sur une relation personnelle forte entre deux dirigeants adeptes d’un style politique viril.

Mais s’ils ont condamné l’annonce de la fourniture d’armes aux milices kurdes, les dirigeants turcs semblent avoir retenu leurs coups contre M. Trump. Comme s’ils gardaient l’espoir de le rallier à leur cause.

‘Doléances’

Mais l’avenir des relations entre Ankara et Washington reste également suspendu à d’autres dossiers épineux, comme la demande d’extradition du prédicateur Fethullah Gülen, qui vit en exil aux Etats-Unis et est accusé par le pouvoir turc d’avoir ourdi la tentative de putsch de juillet.

A cela s’ajoutent les arrestations aux Etats-Unis de l’homme d’affaires turco-iranien Reza Zarrab et d’un cadre de la banque Halkbank, Mehmet Hakan Atilla, soupçonnés d’avoir enfreint les sanctions imposées à l’Iran.

« J’ai bien peur que l’entretien (entre MM. Erdogan et Trump) ne se transforme en énoncé de doléances, des YPG à Reza Zarrab, en passant par Halkbank », dit à l’AFP Aaron Stein, chercheur au centre de réflexion Atlantic Council.

Humiliation pour Ankara, l’annonce de l’envoi d’armes aux YPG est survenue alors que les chefs de l’armée et du Renseignement turcs, ainsi que le porte-parole du président turc, étaient à Washington pour préparer le déplacement de M. Erdogan.

Les Etats-Unis soutiennent les YPG qu’ils considèrent comme la force la plus apte à affronter au sol le groupe Etat islamique (EI) et à chasser les jihadistes de leur bastion syrien de Raqa.

Mais pour la Turquie, les YPG ne sont que l’extension en Syrie des séparatistes kurdes de Turquie (PKK), qui livrent depuis 1984 une sanglante guerre à l’Etat turc. Le PKK est classé « organisation terroriste » par Ankara et ses alliés occidentaux.

M. Erdogan a exhorté le gouvernement américain à revenir « sans délai » sur son « erreur », et a déclaré qu’il aborderait la question avec M. Trump lors de son déplacement.

Trump ‘courtisé’

« Erdogan a mis en jeu beaucoup de sa crédibilité en faisant la cour à M. Trump », souligne M. Stein. « Je m’attends à ce qu’Erdogan tente de dissuader Trump, mais il doit bien être conscient lui aussi que cela ne marchera pas », ajoute-t-il.

En raison des tensions qui se sont renforcées sous la présidence Obama, la Turquie et les Etats-Unis n’ont pas réussi à insuffler de l’énergie dans leurs relations commerciales. Et l’anti-américanisme a atteint des sommets en Turquie, où la presse progouvernementale publie régulièrement des théories du complot impliquant Washington.

En parallèle de la dégradation de ces relations, la Turquie s’est rapprochée de la Russie, avec laquelle elle coopère désormais étroitement sur le dossier syrien, parrainant par exemple un accord de cessez-le-feu fin décembre.

Autrefois « exemplaire », le partenariat entre la Turquie et les Etats-Unis est devenu « dysfonctionnel, produisant des résultats insatisfaisants pour les deux parties », résument dans une étude Kemal Kirisci, du centre d’analyses Brookings Institution, et Asli Aydintasbas, experte au Conseil européen des relations internationales.

Gülen et les Kurdes, principaux points de discorde

La Turquie et les Etats-Unis, bien qu’alliés historiques au sein de l’Otan, ont connu plusieurs désaccords, mais les divergences sur le prédicateur Fethullah Gülen et surtout la question des milices kurdes syriennes empoisonnent actuellement leurs relations.

Ankara s’oppose aux jihadistes, mais aussi aux Kurdes

En septembre 2011, six mois après le début de manifestations pacifiques contre le régime syrien réprimées dans le sang, Ankara, encouragé par les Etats-Unis, lâche Bachar al-Assad et soutient la rébellion. En 2013, l’Otan déploie des batteries antimissiles Patriot dans le sud de la Turquie pour protéger le pays d’éventuels tirs de missiles de Syrie.

Mais après la montée en puissance de groupes jihadistes, les dirigeants turcs sont accusés de fermer les yeux sur les combattants étrangers qui franchissent la frontière turque pour gagner la Syrie.

En 2015, la Turquie est rattrapée par le conflit en Syrie, avec, en juillet, un attentat meurtrier attribué au groupe Etat islamique (EI). Elle rejoint la coalition antijihadistes dirigée par les Etats-Unis et met à disposition sa base aérienne d’Incirlik (sud).

C’est le début pour la Turquie d’une « guerre contre le terrorisme » officiellement dirigée contre les jihadistes et la rébellion kurde, mais qui vise en fait surtout le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en guerre contre Ankara depuis 1984.

En août 2016, la Turquie lance ainsi une opération militaire dans le nord de la Syrie, visant à lutter contre l’EI, mais aussi à combattre les milices kurdes YPG (Unités de protection du peuple kurde). Les YPG, qu’Ankara considère comme l’extension du PKK, sont la principale composante de l’alliance kurdo-arabe combattant l’EI en Syrie et soutenue par les Etats-Unis.

Fin avril 2017, la Turquie irrite Washington en bombardant en Syrie un QG des milices kurdes YPG.

Le 9 mai, Washington décide de fournir des armes aux YPG, ce que la Turquie juge « inacceptable ».

Le sort de Gülen

Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, une tentative de coup d’Etat par une faction de l’armée (près de 250 morts) bouleverse la situation politique en Turquie, ainsi que ses relations extérieures. Elle est imputée au prédicateur islamiste Fethullah Gülen, installé aux Etats-Unis.

La Turquie lance des purges sans précédent dans l’administration turque pour chasser les sympathisants de M. Gülen, qui nie pour sa part toute implication dans le coup de force.

Le président Erdogan appelle, en vain, Washington à extrader le prédicateur.

Arménie

En avril 2017, Donald Trump qualifie le massacre des Arméniens en 1915 d' »une des pires atrocités de masse du XXe siècle », tout en se gardant d’employer le terme de « génocide ». Colère de la Turquie, qui dénonce la « désinformation » et les « mauvaises définitions » de Donald Trump.

Lorsqu’il faisait campagne pour la Maison Blanche en 2008, Barack Obama s’était engagé à reconnaître le génocide, un terme qu’il n’a cependant jamais employé en tant que président.

Droits de l’Homme

En avril 2016, Barack Obama avait dénoncé « le chemin très inquiétant » pris par Recep Tayyip Erdogan en matière de liberté de la presse en Turquie, au lendemain de sa rencontre avec son homologue turc à Washington.

Les autorités turques sont accusées de dérive autoritaire et de répression contre des médias et opposants turcs.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire