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« Erdogan utilise son pouvoir pour duper la population »

La Turquie est le théâtre de protestations jamais vues contre la politique autoritaire du premier ministre Recip Tayyip Erdogan. Verra-t-on un printemps turc? Quid de l’armée ? Erdogan et son parti l’AKP sont-ils en danger? Trois questions au journaliste belge Jelle Henneman qui vient de passer quelques jours en Turquie.

Verra-t-on un printemps turc?

Jelle Henneman: « Cela dépend de ce que vous entendez par là. Premièrement, l’enjeu de ces révoltes n’est pas le pain, comme le printemps arabe, mais la politique. Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan estime que ceux qui sont contre lui, sont contre la démocratie. Dans ce domaine, il ne diffère pas des kémalistes. Il considère sa propre base de pouvoir comme un argument pour duper le restant de la population. Sous Kemal Atatürk, l’islam était le bouc émissaire, maintenant ce sont les islamistes de l’AKP qui sont au pouvoir.

Deuxièmement, il est difficile de désigner un courant dominant. La société turque est très polarisée : il y a les sécularistes, les orientalistes, les nationalistes, les islamistes, les musulmans…

Autre différence avec le printemps arabe: ici ce n’est pas le prolétariat qui descend dans la rue. Je me croyais à Rock Werchter. Il y a avait des jeunes, des femmes perchées sur des talons hauts, des professeurs… Lorsque j’ai demandé à des Turques si la place Taksim (où ont commencé les manifestations, NDLR) serait leur place Tahrir, ils m’ont répondu qu’ils se comparaient plutôt aux mouvements Occupy.

Même si les manifestants le demandent, personne ne s’attend vraiment à la démission d’Erdogan. Au mieux, la population espère qu’il modifiera sa façon de diriger le pays. Le sentiment dominant est qu’Erdogan ne cédera pas, qu’il ne s’excusera pas. Mais aussi qu’il ne tiendra pas le coup. L’été promet donc d’être brûlant.

L’armée, le détenteur historique du pouvoir en Turquie a été fortement bridée par l’AKP. Comment les généraux réagissent-ils ?

Les Turcs qui manifestent expriment également un ras-le-bol vis-à-vis de l’armée, ce qui colle avec leur vision adulte de la démocratie. Ils réalisent qu’ils ne doivent pas attendre de commandement démocratique de la part de l’armée. Les journaux regorgent d’opinions sur la question, mais l’armée n’est mentionnée nulle part. D’une part, il est très peu probable qu’ils interviennent et d’autre part, les manifestants ne les attendent pas.

Recip Erdogan ne peut pas devenir premier ministre une quatrième fois. Il voudrait reprendre le flambeau du président Abdullah Gül tout en augmentant son pouvoir. Son projet est-il en danger ?

« Personne ne doute que s’il y avait des élections demain, l’AKP d’Erdogan gagnerait les doigts dans le nez. Actuellement, l’opposition est très divisée. Mais si elle se rapproche, il se pourrait qu’Erdogan n’obtienne pas 50 pour cent, mais « seulement » 40 pour cent. Dans certains quartiers d’Istanbul on a quand même vu des islamistes, la base de pouvoir de l’AKP, participer aux manifestations. Si Istanbul n’est plus la capitale, elle demeure cruciale sur le plan économique et culturel. Elle pourrait donc faire office de précurseur.

Simon Demeulemeester

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