Le volcan Cotopaxi près de Quito © Reuters

Equateur : un volcan s’éveille, la presse mise en sommeil

Le Vif

Le réveil ces derniers jours du volcan Cotopaxi en Equateur a entraîné une réaction inattendue du gouvernement : la censure préventive de toute information concernant l’éruption, une mesure immédiatement critiquée comme une attaque à la liberté de la presse.

« Afin de garantir la sécurité des citoyens, la censure préalable est décrétée concernant l’information sur le processus éruptif du volcan Cotopaxi émise par les médias de communication », énonce le décret instaurant l’état d’exception, qui survient à un moment où le président socialiste Rafael Correa affronte un vaste mouvement de protestation.

Situé à 45 km au sud de Quito, le volcan culminant à 5.897 mètres d’altitude et considéré comme l’un des plus dangereux du monde a été secoué depuis vendredi par de nombreuses explosions, dégageant d’imposantes colonnes de cendres ainsi que des fragments solides et incandescents. La réaction du gouvernement ? D’abord, évacuer 505 habitants des localités voisines. Puis, contrôler l’information pour éviter, selon lui, une possible panique collective. « Dans ces cas-là, l’information est très importante », a déclaré Rafael Correa, mettant en garde contre le risque « de créer des rumeurs, que n’importe qui lance sur Twitter une énormité qui provoque la panique ». L’état d’exception sera en vigueur pour 60 jours maximum et durant cette période, les Equatoriens « ne pourront s’informer que par les bulletins officiels émis sur le sujet par le ministère coordinateur de la sécurité, avec l’interdiction de diffusion de toute information non autorisée par un média de communication, qu’il soit public ou privé, ou via les réseaux sociaux ». La mesure a crispé les médias équatoriens, déjà régulièrement critiqués par Correa pour leurs liens supposés avec l’opposition.

« Le président argue que c’est pour éviter la panique avec des informations alarmistes. On part du principe que les journalistes et les citoyens sont alarmistes, il y a ce préjugé implicite », critique Diego Cornejo, directeur de l’Association équatorienne d’éditeurs de journaux (Aedep).

Pour le journaliste, cette censure est « disproportionnée, inopportune, car elle arrive justement dans un moment de mobilisation sociale ».

‘La tranquillité de la population’

Sa coïncidence avec les protestations menées par l’opposition et des groupes indigènes a en effet de quoi surprendre. Jeudi dernier, une grande journée d’action contre le gouvernement, au cours de laquelle des milliers de personnes ont aussi défilé en faveur du président, s’est soldée par 67 policiers blessés et 47 manifestants arrêtés, au terme de violents affrontements avec les forces de l’ordre. Ce mouvement, qui a bloqué de nombreuses routes du pays, visait à dénoncer la méthode de gouvernement de Correa, que ses opposants qualifient d’autoritaire, alors que président veut modifier la Constitution pour briguer un quatrième mandat. César Ricaurte, directeur de l’ONG Fundamedios, dénonce lui le flou autour de la censure. « Nous ne savons pas en réalité si le décret se réfère à l’ensemble des réseaux sociaux ou seulement les comptes des médias de communication », explique-t-il, et « l’ambiguïté du décret laisse (au gouvernement) un énorme pouvoir, y compris pour dire que les citoyens ne peuvent pas se prononcer ». Le ministre de la Communication Fernando Alvarado a assuré que les médias pourraient réaliser leur travail en couvrant l’éruption. Mais ils devront le faire avec « énormément de responsabilité et d’attention pour que leurs histoires, leurs reportages, leurs photographies ne s’écartent en aucun cas du message officiel clair sur la dangerosité, la prévention, la tranquillité de la population ».

Pour l’avocat Romel Jurado, qui avait participé en 2013 à la rédaction d’une loi de communication renforçant le contrôle de l’Etat sur la presse, il est important de réguler l’information durant une catastrophe naturelle. « Contrôler les réseaux sociaux est extrêmement complexe, mais la mise en garde se fait précisément pour ne pas stimuler un mauvais usage des réseaux sociaux en relation » avec le volcan, souligne-t-il, car « une information mal diffusée, inexacte, fausse ou intentionnellement erronée pourrait conduire à la perte de vies ou de biens ». La situation actuelle « n’est pas dangereuse, mais potentiellement dangereuse », rétorque Diego Cornejo, insistant sur le caractère « disproportionné » du décret. « Pour la première fois nous avons une législation, un décret, un pouvoir légal pour réguler les réseaux, c’est très dangereux », renchérit César Ricaurte. Une inconnue demeure : les autorités n’ont pas spécifié les sanctions en cas de non-respect de la censure.

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