Theresa May et Nicola Sturgeon, à Edimbourg, le 15 juillet 2016. L'Ecossaise veut un référendum dès 2018 ou 2019. © J. GLOSSOP/REUTERS

Entre Theresay May et l’Ecossaise Nicola Sturgeon, c’est bras de fer et partie de dames

Le Vif

Theresa May, chef du gouvernement britannique, entend claquer la porte de Bruxelles. Mais Nicola Sturgeon, Première ministre de l’Ecosse, ne se laissera pas faire.

Ce matin du 13 mars, Theresa May était sans doute de bonne humeur. En fin d’après-midi, le Parlement de Westminster devait adopter le projet de loi qui, dès le lendemain, permettrait à la Première ministre britannique de lancer enfin la procédure officielle de divorce de Londres et de l’Union européenne. Au départ, elle souhaitait gagner du temps et faire l’économie d’un débat parlementaire : 52 % des Britanniques ont choisi le Brexit lors du référendum de juin 2016, et ce vote lui confère toute la légitimité nécessaire, selon elle, pour déclencher les deux années de négociation conduisant à la sortie de l’UE. Mais la Cour suprême a obligé le gouvernement à saisir Westminster. Une décision qui a exaspéré les partisans les plus acharnés du Brexit, dont plusieurs ministres du gouvernement de Theresa May.

Le Royaume-Uni serait-il sur le point de perdre un tiers de sa superficie et 8 % de sa population ?

Ce 13 mars, décidément, devait être un grand jour. Dès le matin, voilà que Nicola Sturgeon, Première ministre d’Ecosse, convoque la presse à Bute House, sa résidence officielle, et annonce qu’elle sollicite un vote du Parlement d’Edimbourg. Son objectif ? Organiser un référendum sur l’indépendance de la province, à l’automne 2018 ou au printemps 2019, car Londres entraîne l’Ecosse hors de l’Union européenne contre son gré. De fait, si les Anglais et les Gallois ont bien opté pour le Brexit, 62 % des Ecossais ont voté pour rester dans l’UE.  » Il est important que l’Ecosse puisse décider de son avenir avant qu’il ne soit trop tard « , estime Nicola Sturgeon. Il y a trois ans, lors d’une précédente consultation, 55 % des électeurs avaient choisi de maintenir les liens avec Londres. Mais le Brexit modifie la donne.

Lors du référendum de juin 2016, les Ecossais ont voté à 62% contre le Brexit.
Lors du référendum de juin 2016, les Ecossais ont voté à 62% contre le Brexit.© J. J. MITCHELL/GETTY IMAGES/AFP

La déclaration de Sturgeon fait l’effet d’un coup de tonnerre, au point que le vote de Westminster, quelques heures plus tard, passe inaperçu ou presque. Prise de vitesse, Theresa May doit reporter au 29 mars le lancement officiel du Brexit. Embarrassée, la Première ministre se retrouve dans la position de quelqu’un qui est sur le point de demander le divorce et qui découvre qu’une partie de sa famille préfère s’installer chez son conjoint ! Alors que Londres s’apprête à claquer la porte de Bruxelles, et que le gouvernement s’échine à décrire ce choix comme positif et porteur d’espoir, le Royaume-Uni serait-il sur le point de perdre un tiers de sa superficie et 8 % de sa population ?

Voilà qui est bien joué de la part de la présidente du Parti national écossais (SNP, indépendantiste). La réponse de Theresa May est immédiate : une nouvelle consultation sur l’indépendance de l’Ecosse, déclare-t-elle, serait un  » facteur de division  » et créerait une  » énorme incertitude économique au pire moment possible « . Le décor est planté pour une longue partie d’échecs entre les deux femmes, avec une série prévisible de feintes, de ruses, de coups bas… Et la représentante de l’Ecosse a ouvert la partie avec maestria.

L'union entre l'Angleterre et l'Ecosse remonte à 1707. Ici, Elizabeth II et Nicola Sturgeon.
L’union entre l’Angleterre et l’Ecosse remonte à 1707. Ici, Elizabeth II et Nicola Sturgeon. © J. BARLOW/REUTERS

Le Royaume-Uni, dans sa forme actuelle, est une création politique relativement récente – l’Acte d’union date de 1707 et il a déjà connu de nombreuses mutations – et sa dénomination remonte seulement à 1927. Depuis quelques années, aussi, la vie politique du royaume se fracture selon des lignes régionales : au Parlement de Westminster, les députés conservateurs ne comptent plus qu’une élue représentant une circonscription en Ecosse, et un député issu de l’Irlande du Nord.  » Le Brexit nous a éloignés les uns des autres, confie Neil Mitchison, ancien représentant de la Commission européenne en Ecosse, aujourd’hui à la retraite. Prenez mon cas. Je suis un Ecossais plutôt favorable au maintien des liens avec Londres, mais les déclarations populistes des partisans les plus déterminés du Brexit m’exaspèrent. Et je finis par m’interroger. Qui sait ? Je me laisserai peut-être séduire par la perspective d’une Ecosse indépendante et européenne.  » Dans l’esprit de nos voisins, l’identité d’un Anglais, d’un Ecossais, d’un Irlandais ou d’un Gallois va de soi. L’identité  » britannique « , en revanche, apparaît souvent limitée au passeport.

Une partie des nationalistes écossais sont aussi hostiles à Bruxelles qu’à Londres

La partie s’annonce donc serrée entre Londres et Edimbourg. Mais qui sont réellement ces joueuses, et quelles seront leurs stratégies respectives ? A Londres, Theresa May est un chef de gouvernement auquel il manque la légitimité du suffrage universel. A 60 ans, cette fille d’un prêtre anglican a longtemps été ministre de l’Intérieur et se disait favorable, avant le référendum, au maintien des liens avec l’UE. Dans les jours qui suivent la consultation, toutefois, elle change de bord et explique que le peuple a parlé :  » Brexit is Brexit « … Ce pragmatisme lui attire la sympathie des eurosceptiques de son parti, qui facilitent son installation au 10 Downing Street, où elle succède à David Cameron. Première ministre, elle n’a pas grand-chose à craindre de l’opposition travailliste : le discours radical du leader du Labour, Jeremy Corbyn, rend illusoire la victoire de son parti. Pour Theresa May, en fait, la plus grande menace est à l’intérieur de son propre camp ; les eurosceptiques et les europhobes issus de l’aile droite du Parti conservateur occupent des places clés au sein de son gouvernement et entendent veiller à ce qu’elle mène à bien le divorce annoncé.

Avec l'effondrement des cours du brut, les revenus du pétrole ne représentent plus que 0,1% du PNB écossais.
Avec l’effondrement des cours du brut, les revenus du pétrole ne représentent plus que 0,1% du PNB écossais.© A. BUCHANAN/REUTERS

A Edimbourg, Nicola Sturgeon, quant à elle, bénéficie d’une forte popularité. Agée de 46 ans, fille d’un électricien et d’une assistante dentaire, elle est souvent décrite comme la  » femme politique la plus talentueuse du Royaume-Uni « . Son autorité est indéniable : au Parlement écossais, les partis indépendantistes (SNP et Verts) disposent de la majorité. Au-delà des îles britanniques, même, elle peut compter sur quelques amis influents. A Berlin, par exemple, trois jours après le référendum sur le Brexit, le chef de la commission des affaires européennes au Parlement allemand affirme que l’UE comptera toujours 28 Etats à l’avenir :  » Je m’attends à un nouveau référendum sur l’indépendance en Ecosse « , précise Gunther Krichbaum. Signe des temps et acte de souveraineté, Nicola Sturgeon a signé un accord de coopération économique avec la vice-ministre présidente de Bavière, Ilse Aigner, le 24 mars dernier. Du reste, l’Ecosse envisage d’ouvrir une représentation économique et commerciale en Allemagne.

Pour autant, la marge de manoeuvre de Nicola Sturgeon trouve ses limites. D’abord, Edimbourg a besoin de l’accord du gouvernement et du Parlement britanniques pour organiser un référendum sur l’indépendance, et Theresa May attendra sans doute la fin des négociations sur le Brexit pour donner son feu vert. Ensuite, l’issue du scrutin est imprévisible, car une partie des nationalistes écossais sont aussi hostiles à Bruxelles qu’à Londres :  » L’UE n’est pas une organisation démocratique et nous n’avons pas grand-chose en commun avec les peuples d’Europe centrale, confie Mary Whiteside, une militante du SNP croisée dans les rues de Glasgow. Je me battrai pour une Ecosse indépendante de tous les pouvoirs !  » Sur le plan économique, enfin, une Ecosse indépendante se prépare des lendemains difficiles. L’exploitation des réserves de pétrole en mer du Nord représentait naguère 7 % du produit national brut de la région, mais les cours se sont effondrés et leur part atteint péniblement 0,1 %. Les exportations sont en hausse, certes, mais le premier  » marché extérieur  » de l’Ecosse n’est autre que le reste du Royaume-Uni. A quoi bon négocier un accès au marché unique européen, qui semble mal en point, quand le marché britannique vous tend les bras ?

Le Brexit, présenté comme une opération simple et libératrice par ses partisans, nourrit déjà un drame national.

L’Irlande du Nord, aussi…

Dans la province britannique de l’Irlande du Nord, près de 56 % des habitants se sont prononcés, en juin dernier, pour que le Royaume-Uni demeure au sein de l’Union européenne. Comme l’Ecosse, la région se retrouve minoritaire et victime d’une décision prise ailleurs : seuls le pays de Galles et l’Angleterre – la région la plus peuplée, de loin – ont choisi de claquer la porte de Bruxelles. Ici, la situation pose un défi supplémentaire. Car les territoires de l’Ulster, au nord, et de la république d’Irlande, au sud, sont délimités par la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et un autre pays européen. Que deviendra-t-elle quand Londres aura quitté, d’ici à deux ans, le club européen ? Personne n’imagine le retour des barbelés et des miradors, omniprésents avant les accords de paix du vendredi saint, en 1998, qui ont mis un terme aux longues années de violence entre nationalistes (catholiques en majorité) et unionistes, favorables à la monarchie britannique (protestants pour la plupart). A Belfast, désormais, les uns et les autres se partagent le pouvoir au sein d’un gouvernement de coalition. Le commerce transfrontalier ne cesse de croître, notamment dans l’agriculture : l’activité économique de l’Ulster, la région la plus pauvre du Royaume-Uni, est de plus en plus intégrée dans celle de l’Irlande. Un éventuel accord entre Londres et Dublin, qui garantirait le maintien d’une frontière ouverte, nécessiterait un feu vert de Bruxelles. Le casse-tête ne fait que commencer.

De notre envoyé spécial, Marc Epstein.

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