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Entre Birmanie et Bangladesh, des Rohingyas face à la peur du retour

Le Vif

Piégés par des barrières barbelées côté birman et des soldats côté bangladais, près de 6.000 Rohingyas attendent anxieusement de savoir s’ils seront renvoyés en Birmanie, où peu souhaitent retourner après avoir fui une épuration ethnique.

Le Bangladesh et la Birmanie ont signé fin novembre un accord encadrant les retours de réfugiés rohingyas, qui doivent encore être mis en oeuvre. 750.000 personnes sont potentiellement éligibles à ce programme sur lequel planent de sérieuses interrogations.

« Il n’est pas question que j’y aille. Pourquoi ne nous tuent-ils pas ici plutôt ? Je préfèrerais ça à être renvoyée là-bas », lance Husne Ara, 26 ans et mère de cinq enfants.

Cette Rohingya raconte avoir perdu son mari et deux de ses fils dans les violences dans l’ouest de la Birmanie que les Nations unies considèrent comme une épuration ethnique menée par l’armée.

« Si le Bangladesh ne veut pas de nous, ne veut pas nous prendre en charge, alors tuez-nous. Mais je ne peux pas retourner (en Birmanie) après ce qu’ils ont fait. »

Comme cette femme, les personnes ayant trouvé refuge dans des abris de bâches et de bambous à Konarpara, une bande de terre qui n’appartient officiellement ni au Bangladesh ni à la Birmanie, font partie de l’avant-garde de la marée humaine qui a déferlé depuis fin août sur le Bangladesh.

Ce pays pauvre d’Asie du Sud ayant essayé au début de fermer ses frontières, les premiers arrivants ont dû s’installer sur ce no man’s land. Mais, submergée, Dacca a fini par ouvrir ses portes et recueilli en quelques mois près de 690.000 Rohingyas.

De cette langue de terre flottant dans des limbes juridiques, les Rohingyas peuvent voir les patrouilles côté birman et des enfants s’amusant avec des cerfs-volants. Vers le Bangladesh, les soldats laissent passer les réfugiés uniquement pour récupérer de l’aide humanitaire et consulter des médecins.

Les habitants de Konarpara sont particulièrement concernés par le programme de rapatriements, des responsables du Bangladesh ayant évoqué la possibilité de les renvoyer en premier.

Une perspective qui effraye Abul Naser, un Rohingya de 45 ans, qui dit qu’ils continuent à entendre des tirs et voir de la fumée d’incendies de villages en Birmanie.

« Comment peuvent-ils parler de nous renvoyer là-bas ? Nous n’irons pas. Ni en premiers, ni en derniers », déclare-t-il à l’AFP.

– ‘Propagande mensongère’ –

Organisations internationales et non-gouvernementales émettent de graves réserves sur le programme de retours. Human Rights Watch a estimé que les camps de transit prévus pour les Rohingyas en Birmanie constituaient des « prisons à ciel ouvert ».

Selon les délais prévus par l’accord, les premiers rapatriements auraient dû s’effectuer cette semaine, mais ils ont été reportés sine die.

Un retard pour lequel la Birmanie a blâmé le Bangladesh, se disant « totalement prête » à recevoir les Rohingyas, une communauté musulmane paria dans ce pays à plus de 90% bouddhiste.

« Propagande », rétorque sous couvert d’anonymat à l’AFP un haut responsable du gouvernement bangladais. Selon cette source, la Birmanie n’a toujours pas les infrastructures nécessaires pour accueillir les Rohingyas.

D’après cet officiel, Naypyidaw doit informer Dacca de son plan de relocalisations mais « ces procédures n’ont même pas débuté ».

Si les villages rohingyas brûlés dans la campagne militaire ne sont pas rebâtis, « où iront-ils vivre ? Les gens ne vivront pas dans les camps. La Birmanie ne dit rien sur ces questions. Ils font de la propagande mensongère », a ajouté cette source.

Des listes de possibles candidats au retour doivent encore être établies puis transmises à la Birmanie, qui aura besoin d’au moins un mois pour les approuver. Il faudra encore un mois supplémentaire pour préparer les retours de Rohingyas.

Nombre d’observateurs estiment que les conditions ne sont pas réunies pour une résolution des tensions dans l’Etat Rakhine, où vivaient de très nombreux Rohingyas, et demandent que les rapatriements s’effectuent uniquement sur la base du volontariat.

Plusieurs programmes de retours de Rohingyas du Bangladesh vers la Birmanie ont déjà eu lieu au cours des trois dernières décennies, sans pour autant faire cesser le cycle violences-exode qui a atteint cette fois-ci une ampleur inégalée.

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