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En Tunisie, le Harlem Shake vire au combat de société

Le Vif

Combien seront-ils au rendez-vous ? Sur Facebook, ils sont près de 10 000 à s’être inscrits pour participer, vendredi après-midi, à un Harlem Shake géant devant le ministère de l’Éducation à Tunis.

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Abdelatif Abid, ministre de l’Éducation du gouvernement sortant est à l’origine de la polémique de la semaine en Tunisie: le 24 février dernier, il est monté au créneau pour s’élever, dans les médias, contre le tournage d’un Harlem Shake, dans un lycée du quartier bourgeois de Menzah 6. La veille, plusieurs dizaines d’élèves du lycée Père blanc s’étaient filmé dans la cour de récréation, en train de danser sur le tube, comme l’ont fait avant eux de nombreux jeunes à travers le monde: de façon délurée, voire parodiquement sexuelle, déguisés n’importe comment. Quelques-uns en caleçons, d’autres en salafistes.

« Cette danse comporte des dépassements du point de vue moral », a réagi à la radio Abdelatif Abid, pourtant l’un des représentants du parti socialiste Ettakatol au sein de la coalition gouvernementale. Dans son collimateur, « le déguisement indécent et l’habit vestimentaire impudent ». Dès le lendemain, l’inspection académique était saisie.

« On ne pensait pas que ça prendrait cette dimension. On voulait s’amuser, c’est tout! Après la révolution, on veut s’exprimer et profiter de la nouvelle liberté! « , explique Melek, élève en classe de terminale au lycée Père Blanc. « La réaction du ministre est disproportionnée. Les mecs en slip, c’est un peu provocant, mais ça ne méritait pas toute cette attention. On n’a tué personne! », ajoute Zeineb, elle aussi prétendante au bac. Ce matin-là, deux fourgonnettes de police stationnent devant l’entrée du lycée, pour protéger les élèves d’éventuelles représailles.

Les réactions pudibondes des dirigeants, les insultes de certains islamistes, ont fini d’énerver la jeunesse libérale, qui étouffe déjà face aux « islamistes [qui] gagnent du terrain », déplore Hend, qui a dansé en niqab. Ils sont nombreux à souligner que le ministre n’a pas mis autant de vigueur à s’élever contre les salafistes, qui ont plusieurs fois installé des tentes de prédication aux portes des lycées.

En soutien aux élèves de Père blanc, de nombreux jeunes ont à leur tour posté sur internet leur Harlem Shake , comme à Monastir ou à Soliman. Dans un institut de langues de Bab el-Khadhra, quartier populaire du centre-ville de Tunis, le tournage a été perturbé par des salafistes et a momentanément viré à la bagarre. Mêmes scènes jeudi à l’université de la Manouba et dans un lycée de Regueb, près de Sidi Bouzid. À Sousse, mercredi, la police a tiré des gaz lacrymogènes contre des lycéens, qui protestaient contre l’interdiction émise par leur directeur de filmer un Harlem Shake dans la cour.

« Cette polémique soulève des questions importantes, de liberté d’expression, de droit à l’anticonformisme et à la fête », défend Inès Abichou, l’une des trois initiatrices du « Harlem Shake géant » programmé pour ce vendredi 1er mars devant le ministère. « À la base, dit-elle, on voulait juste délirer sans imaginer que cette histoire aurait un tel retentissement. Ici, on a une arme importante: l’humour. Tout est tourné en dérision. On n’a que ça, c’est l’essence de notre caractère tunisien. Si même ça, on veut nous l’enlever… »

Pour « Missy Ness », de son nom de DJ, « il s’agit aussi de rappeler au ministre ses priorités: on peut toujours acheter ses notes et les manuels scolaires sont dans un état déplorable ».

Elodie Auffray

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