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« En tant que challenger, Sarkozy a tout intérêt à exposer Hollande à la faute »

François Hollande dépasse d’une tête Nicolas Sarkozy au premier tour de la présidentielle française. Décryptage des résultats de dimanche et décodage en vue du second tour avec Gérald Papy, rédacteur en chef adjoint du Vif/L’Express.

[Corine] : Le score exceptionnel de Marine Le Pen, c’est une gifle pour la droite ou pour la gauche ? Gérald Papy : C’est d’abord une gifle pour Nicolas Sarkozy qui avait grandement axé sa campagne dans le but de séduire l’électorat d’extrême droite. C’est aussi une gifle pour la gauche et en particulier pour Jean-Luc Mélenchon, qui avait fait de ce combat une de ses priorités. Accessoirement, c’est une gifle pour les instituts de sondage qui ont minorisé le vote du Front national.

[Mute] Un FN à plus de 18% en France. En Belgique francophone, on peut se dire que l’on a de la chance de ne pas avoir un FN structuré.

Oui. Du reste, les derniers développements autour de l’extrême droite en Belgique francophone (rupture avec le FN français) témoignent de son incapacité à se structurer. Cela étant, il y a une tradition historique de l’extrême droite en France qui n’existe pas dans la même ampleur en Belgique francophone.

[George] Comment peut-on expliquer un tel score du FN ? Est-ce dû à la personnalité de Marine Le Pen ou est-ce plutôt un vote sanction de la part des Français ?

Plusieurs raisons : la tradition d’un vote d’extrême droite en France, la présence récurrente de l’extrême droite dans l’élection présidentielle depuis plusieurs années (en 2002, Jean-Marie Le Pen et Bruno Mégret totalisaient 19,20 % au 1er tour), le « vote de crise » qualifié comme tel par Nicolas Sarkozy et le profil plus policé de Marine Le Pen, qui s’est – un peu – distanciée des excès de son père.

[Claire] Peut-on déjà avoir une idée du comportement de l’électorat du FN lors de second tour ?

C’est l’un des enjeux majeurs du second tour et ce qui explique qu’une France majoritairement de droite élira probablement un président de gauche. Le report de voix de l’extrême droite vers Nicolas Sarkozy s’annonce erratique alors que le report de voix des formations de l’extrême gauche vers François Hollande ne fait guère de doutes. Un institut de sondages prédit 60 % des voix des électeurs du FN pour Nicolas Sarkozy au 2e tour, 18 % pour François Hollande et 22 % dans l’abstention. Du reste, à bien entendre le discours de Marine Le Pen, dimanche soir, il est clair que la présidente du FN ne souhaite pas la victoire de Sarkozy, par principe et pour des raisons de stratégie en vue des législatives.

[Claire] Et ceux de François Bayrou ?

L’incertitude prévaut aussi. Selon l’institut de sondages, l’électorat de François Bayrou se répartira au 2e tour entre 1/3 pour Sarkozy, 1/3 pour Hollande et 1/3 d’abstentionnistes. L’issue de ces votes dépendra aussi des intentions affichées par Bayrou lui-même. D’après Le Canard enchaîné, il se sentirait « plus proche humainement » de Hollande, mais « programmatiquement proche » de Sarkozy…

[Thierry] Si on additionne Le Pen et Mélenchon, on peut qd même dire que le vote français sacre les extrêmes plus que « les traditionnels ». Ça signifie là aussi la faillite de la politique, au bénéfice, ailleurs, des technocrates, et en France, des pyromanes ?

C’est sans doute une particularité inédite en Europe. Les Français ont accordé leurs voix aux extrêmes, droite et gauche, à hauteur de 35 %. Il reste tout de même quelque 65 % de votants pour les partis « traditionnels ». Qui plus est, ce sont peut-être les électeurs de François Bayrou, radicalement centristes, qui vont décider in fine du nom du futur président français. Il reste que, quel que soit le vainqueur, le président après le 6 mai devra composer avec ce vote de protestation massif.

[Gris] 350 sondages durant la campagne, pour arriver à un duel Hollande-Sarkozy et personne qui n’avait prédit un tel score du FN. Tout ça pour ça ? Un sondage est-il vraiment encore utile ?

Question pertinente. Les instituts de sondage ont surévalué le score de Mélenchon et sous-évalué celui de Marine Le Pen dans une marge que n’expliquent pas les prises de décision de dernière minute. Il me semble effectivement que la culture du sondage devient un peu trop envahissante. Et que la question de leur pertinence dans cette profusion mérite d’être posée. Ce constat rend aussi plus incertain tout pronostic pour l’issue du second tour.
[Luc] Trois débats pour Sarkozy, un seul pour Hollande… C’est quoi le problème avec le nombre de débats entre les deux tours de l’élection présidentielle ? Sarkozy est-il vraiment un meilleur orateur que Hollande?

Sarkozy est dans une position de challenger et a donc tout intérêt à exposer son rival à la faute. Plus il y a de débats, plus il en aura éventuellement la possibilité. Pour Hollande, l’attentisme pourrait peut-être le servir, vu qu’il est donné favori. Sur la qualité de la prestation des deux derniers candidats, il est difficile de se prononcer de façon définitive. Sarkozy a l’expérience et le punch. Hollande la « force tranquille » et la sérénité, déjà quasi présidentielle.

[Astrid] Si Hollande est élu président, cela pourrait-il changer les relations qu’entretiennent la Belgique et la France ?

Pas fondamentalement. Les relations sont bonnes et le resteront. Simplement, au plan européen, François Hollande trouvera en Elio Di Rupo un allié objectif, même si tous les gestes de celui-ci seront scrutés par ses partenaires de gouvernement comme l’a illustré la guéguerre autour de la présence silencieuse de Di Rupo au meeting de Hollande à Lille.

[France] Au niveau européen, une victoire de Hollande permettrait-elle de faire pencher la balance dans une politique économique essentiellement à droite ?

Pas vraiment. Les gouvernements de gauche resteront minoritaires dans l’Union européenne (France, Danemark, Slovaquie…). Mais une victoire de Hollande et de la gauche aux législatives qui suivront pourrait insuffler un vent d’opposition en Europe contre la droite conservatrice et libérale. Surtout, si la sociale démocratie allemande redresse la tête dans un an au scrutin législatif.

[Guest] : quelle erreur peut encore commettre Hollande ? En a-t-il d’ailleurs commis ?

Une prestation catastrophique au – probablement seul – débat télévisé de l’entre-deux tours ou un dérapage verbal pendant les 15 derniers jours de campagne… Surtout, sa victoire ne dépend pas que de lui, ni même que de la gauche. S’il veut l’emporter il devra tout de même attirer à lui une partie des voix de l’électorat du centriste François Bayrou.

Le Vif.be

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