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En Inde, les « intouchables » se révoltent et les carcasses de vaches pourrissent

Le Vif

Depuis juillet, des carcasses de vaches se décomposent à l’air libre dans l’ouest de l’Inde. Les dalits chargés de leur ramassage ont cessé le travail pour protester contre les discriminations dont ils font l’objet.

Voilà des générations que Somabhai Yukabhai et les siens, autrefois appelés « intouchables », collectent et équarrissent les vaches mortes, animal sacré dans l’hindouisme. Mais grève oblige, ce père de trois enfants a rangé ses couteaux rouillés.

La vidéo d’une agression par des miliciens, fondamentalistes hindous, dans l’Etat du Gujarat (nord-ouest), terre d’origine du Premier ministre Narendra Modi, a sonné la révolte.

Au vu de la situation, « je préfèrerais crever de faim plutôt que de ramasser des vaches mortes », déclare à l’AFP Somabhai, 49 ans, rencontré en périphérie d’Ahmedabad, la principale ville du Gujarat.

Sur ce terrain vague, des cadavres de vaches gisent abandonnés à leur décomposition. Un chien se repaît des entrailles d’un veau.

Depuis le début de la grève des équarrisseurs, les villageois sont obligés d’amener là les vaches mortes, normalement ramassées par les dalits.

« Nos frères dalits ont été frappés pour avoir simplement fait ce qui est leur travail depuis des siècles », explique Somabhai. « Nous menons maintenant un combat pour notre dignité ».

Bien que la Constitution indienne ait, sur le papier, aboli les discriminations de caste après l’indépendance, leur persistance dans les faits reste une réalité quotidienne pour des millions de dalits.

Pourtant forte de quelque 200 millions de personnes, cette communauté est considérée comme ne faisant pas partie du système des castes. Elle est perçue à ce titre comme le plus bas échelon de la société indienne.

Les dalits sont souvent cantonnés aux tâches ingrates que dédaigne le reste de la population, comme le ramassage des morts ou le nettoyage d’excréments humains.

Tué par un lion

En Inde, les vaches se promènent en liberté à la campagne comme à la ville et la consommation de leur viande est interdite dans la majeure partie du pays, officiellement laïc mais à majorité hindoue.

Cependant, lorsque les bovins révérés trépassent de mort naturelle, les dalits peuvent vendre leur peau aux tanneries et leur graisse aux fabricants de savons.

Mais fin juillet, dans la ville d’Una au Gujarat, des miliciens autoproclamés défenseurs des vaches ont interpellé quatre dalits, les accusant d’avoir tué l’un de ces animaux sacrés.

Les quatre jeunes hommes ont été attachés à un 4×4, le torse dénudé. Puis ils ont été battus à coups de barres de fer en public.

L’enregistrement vidéo de ce passage à tabac est devenu viral sur internet et a déclenché d’importantes manifestations de dalits au Gujarat.

Ces derniers ont déposé des carcasses de vaches mortes dans des bâtiments publics. Des bus ont été incendiés, un policier a été tué par un jet de pierre.

Une enquête a finalement conclu que le bovin avait en réalité été tué par un lion.

Pour le charismatique leader dalit Jignesh Mevani, porte-voix du mouvement, la révolte déclenchée à Una témoigne d’une prise de conscience nouvelle de la communauté dalit. « L’exploitation économique d’un côté et la violence de caste de l’autre les a complètement frustrés, surtout la jeunesse », dit-il.

Un quart des Indiens continuent de pratiquer « l’intouchabilité » sous une forme une autre, selon une étude l’année dernière. Les personnes interrogées disaient par exemple refuser l’entrée d’un dalit dans leur cuisine ou leur demander d’utiliser des ustensiles différents.

‘Faites-le vous-mêmes !’

L’Inde assiste ces dernières années à la montée en puissance d’un fondamentalisme hindou. Les attaques au nom de la protection des vaches se sont multipliées depuis l’arrivée au pouvoir du nationaliste hindou Narendra Modi en 2014.

Sur un terrain d’équarrissage du district de Surendranagar flotte une odeur de décomposition. Nombre de dalits ont cessé le travail ici, malgré les répercussions financières.

Leurs témoignages sont emprunts de lassitude et d’inquiétude.

Les miliciens « s’en prennent à nous car ils pensent que la vache est leur mère et que nous les tuons. Mais nous ne sommes pas des bouchers. Nous ne faisons qu’enlever leur peau », déclare Natubhai Parmar, un militant dalit local.

Dans une structure de briques, des travailleurs salent les peaux à mains nues afin de les préserver jusqu’à leur arrivée à la tannerie.

« Pourquoi (les miliciens) ne s’occupent-ils pas de leur vache sacrée et ne ramassent-ils pas sa carcasse lorsqu’elle meurt ? », s’insurge Natubhai. « Si vous n’aimez pas que nous fassions ce travail, faites-le vous-mêmes, je vous en prie ».

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