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En Grèce, le risque est d’opposer l’économie à la société

La crise grecque amplifie la crainte générale de la régression sociale par-dessus les déficits spécifiques d’une nation, au risque de faire passer le débat du camp de la discipline budgétaire à celui de la démocratie fondamentale.

« Je ne suis ni athénien ni grec, mais un citoyen du monde. » Faut-il invoquer Socrate pour comprendre à quel point la colère du peuple grec nous concerne tous? Entendez tous les peuples. Non seulement en raison du rouleau compresseur de la mondialisation, qui ne connaît pas les frontières politiques ou culturelles, mais aussi parce que le malheur d’un seul peuple européen réveille le spectre qui menace tous les autres. Car le drame des Hellènes se déroule sous nos yeux, étonnés ou indifférents, en offrant les flammes d’un sacrifice global: si ce n’est l’effondrement, qui ne redoute aujourd’hui le recul inexorable de son niveau de vie?

Depuis le début de la crise qui frappe ce pays et, par contrecoup, toute l’Europe, les efforts des politiques, financiers ou technocrates visent à isoler le cas, à endiguer la faillite, à enfermer la dramaturgie entre l’Épire et le Péloponnèse. Comme le confiait Dominique Strauss-Kahn, alors à la tête du FMI: « Il faut dire que les Grecs ont beaucoup truandé. » C’est vrai, et l’on a eu raison de fustiger cette gabegie au son des cigales, cette incurie qui insultait l’avenir d’une nation historiquement peu industrieuse. Comme on fait bien de dénoncer la lâcheté du gouvernement d’Athènes, qui a choisi l’option la moins courageuse -et, partant, la plus injuste- consistant à taxer à mort l’armée des fonctionnaires et la masse impuissante des retraités.

On attend, de manière parfaitement légitime, que les versements de la zone euro (110 milliards d’euros, auxquels doivent s’ajouter 130 milliards) donnent lieu aux mesures énergiques exigées par l’Union européenne. Or, de ce point de vue, Athènes a joué avec les nerfs de ses partenaires, malgré l’adoption d’un nouveau plan d’austérité: le déficit public est toujours de 9% du PIB, la fraude fiscale reste endémique, l’économie souterraine perdure, l’administration demeure pléthorique, les riches armateurs n’ont pas été dûment mis à contribution, l’Eglise continue de bénéficier de ses privilèges fiscaux, le défi herculéen du cadastre est en panne depuis dix ans. Reconnaissons que la facture est plus que salée et l’on est en droit de se demander si l’argent de l’Europe ne part pas en fumée dans les boyaux du Ténare étatique.

Mais l’ostracisme est à courte vue: à tenir cette république, si méditerranéenne, pour une exception, à y voir l’appendice d’un corps supposé par ailleurs vertueux, on prend le risque d’oublier qu’il y a derrière les chiffres, les promesses non tenues et les « irresponsables » politiques un peuple fracassé. Cette réalité agit comme une catharsis sur ses différents spectateurs européens: elle amplifie le souci général de la régression sociale par-dessus les déficits spécifiques d’une nation. Il existe un microcosme grec, version exacerbée du macrocosme européen; il consiste à percevoir de plus en plus l’économie comme l’adversaire de la société. Mortelle réduction et mauvais match d’où il ressort deux scénarios. Soit, à force de restrictions, le ciment d’un peuple vole en éclats en offrant sa friabilité à des formes politiques extrêmes, anarchisme ou populisme. Mais on peut compter sur le sens de la famille et les liens du sang, piliers de la Grèce, pour servir de digue aux emportements et à l’émiettement de la vie politique.

Soit le sursaut des Thermopyles, qui mit face à face, 1.000 Grecs et 250.000 Perses, en 480 avant Jésus-Christ, émerge de la douleur collective et entraîne les citoyens à se serrer à la fois la ceinture et les coudes pour consentir au redressement. Mais on ne voit aucun Léonidas à l’horizon, loin de là. Ce qui manque aujourd’hui à la Grèce est autant l’argent que les hommes.

Christian Makarian , L’Express

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