Une partie des élus macronistes dans le Rhône : La République en marche a remporté 12 de ses 14 circonscriptions. © S. AUDRAS/RÉA

En France, une drôle d’Assemblée

Le Vif

Ce n’est pas la première fois qu’un seul groupe compte autant de députés, mais c’est la première fois qu’autant d’élus sont ignorants des arcanes de la république.

Jamais, depuis le début de la Ve République française, un groupe parlementaire n’a compté autant de novices. Jamais, depuis le début de la Ve République, un groupe parlementaire n’a compté autant de députés absolument ignorants de la politique, qui ont rejoint le parti d’Emmanuel Macron il y a quelques semaines à peine, qui ont découvert l’action militante à la veille du scrutin, et qui n’ont pas la moindre idée du fonctionnement de l’Assemblée nationale. Parfois, c’est à peine s’ils ont eu besoin de faire campagne, tant était grande la dynamique en faveur du nouveau chef de l’Etat. Les voici donc, jeunes souvent, fringants toujours, persuadés qu’ils ont en main les clés pour changer le monde. La vérité ? Jean-Louis Debré la résumait sèchement en 2002, alors qu’il était président de l’Assemblée et que 144 nouveaux élus venaient rejoindre le groupe UMP :  » Ils vont découvrir le métier de député de la majorité. Ce qu’on leur demande, c’est de soutenir le gouvernement et de ne pas trop l’ouvrir.  »

Compliqué, pourtant, d’empêcher plus de 300 personnes de  » trop l’ouvrir  » ; surtout quand la plupart d’entre elles n’ont aucune culture de parti, aucun sens de la discipline de groupe.  » En 1981, se souvient le socialiste Claude Bartolone, nous étions députés pour la première fois, mais nous étions tous membres du PS, structurés par une organisation politique, une idéologie partagée, appuyés sur un programme que nous connaissions et que nous avions défendu sur le terrain. Nous nous battions pour « changer la vie » ! Nous avions chacun une existence individuelle au sein d’une aventure collective. Et, au-delà de l’autorité naturelle qui émanait de Pierre Joxe, le président du groupe, nous avions le respect de la chaîne de commandement.  »

Premiers pas d'un élu LREM, Sylvain Maillard, à l'Assemblée nationale : un rajeunissement certain.
Premiers pas d’un élu LREM, Sylvain Maillard, à l’Assemblée nationale : un rajeunissement certain.© OLIVIER LEJEUNE/BELGAIMAGE

Le Breton Bernard Poignant, élu lui aussi pour la première fois en 1981 à l’Assemblée nationale, confirme :  » Nous n’avions aucune compétence de parlementaire, mais nous avions l’expérience de la politique ; nous avions déjà mené des campagnes, les municipales de 1977, les législatives de 1978, les cantonales de 1979. Nous aimions les débats – et parfois ils étaient vifs ! – mais, à l’Assemblée, nous appliquions ce que nous avions appris au parti : une fois les décisions prises, respect des consignes de vote. Nous n’avions pas du tout la culture de la fronde…  »

Une seule fois, une ligne de fracture menace le groupe : lorsque François Mitterrand veut l’amnistie des généraux putschistes d’Algérie. A l’époque, beaucoup de députés socialistes ont fait cette guerre ; pour eux, c’est simplement inconcevable. Même Joxe est contre.  » Du coup, se souvient Poignant, il a trouvé la solution pour que le texte, auquel le président tenait, soit adopté sans que nous ayons à le voter : le gouvernement a utilisé le 49.3 !  »

Leur seul référent, c’est le président ; leur seule légitimité, c’est d’avoir été choisi par lui

En 2007, Jean-François Copé se retrouve, lui, à la tête d’un groupe UMP (Union pour la majorité présidentielle) encore plus pléthorique que celui des socialistes en 1981 : 313 députés en début de mandature. L’élu de Meaux, soucieux de tenir ses troupes, élabore alors une stratégie :  » J’avais une conception très originale de la présidence, qui consistait à faire en sorte que jamais un député ne soit inactif. J’ai installé des groupes de travail, des rapports à écrire, des missions d’information… Et puis, j’ai lancé les nouveaux députés à la tribune alors que, jusque-là, ils se faisaient bizuter pendant cinq ans ; il suffisait de les coupler avec des élus plus expérimentés.  » Pour renforcer la cohésion du groupe, Copé invite le comique Jacques Mailhot aux journées parlementaires de Strasbourg, pour un petit show après les travaux :  » Il nous a fait hurler de rire en se moquant de Nicolas Sarkozy, qui l’a très mal pris !  »

La vraie différence entre les petits nouveaux des précédentes législatures et ceux de 2017 : pour beaucoup, ces derniers ne doivent rien à un parti, rien à leurs compétences politiques ou à leur efficacité en campagne ; ils doivent tout au seul chef de l’Etat.  » Soutenu par Emmanuel Macron  » a suffi, souvent, à les faire élire. Leur seul référent, c’est le président ; leur seule légitimité, c’est d’avoir été choisi par l’homme au sommet de l’Etat. Une jeune députée, qui a côtoyé Macron pendant la campagne, en est consciente :  » Il va décider de tout. Il va choisir qui nommer aux postes clés. Et, pour l’aider, il s’appuiera d’autant plus sur nous, les quelques élus qu’il connaît, que nous sommes très peu nombreux au sein du groupe.  »

S’il ne connaît effectivement que quelques députés parmi les nouveaux élus, Emmanuel Macron a dû en découvrir d’autres, notamment grâce à des vidéos d’interviews diffusées sur les réseaux sociaux. Qui n’a pas écouté Anissa Khedher, élue dans la 7e circonscription du Rhône, proposer d’installer des paravents dans les classes pour les séparer en deux, et répondre ainsi à la promesse présidentielle d' » augmenter le nombre de classes  » ? Un ancien de 1981, Bertrand Delanoë, reste malgré tout résolument optimiste :  » Oui, il va falloir investir sur de nouveaux élus, faire confiance à leur sérieux, à leur capacité de travail, même s’ils sont totalement inconnus… C’est difficile, j’en conviens, mais ça me paraît tout à fait faisable !  » L’ex-député UMP François Goulard est plus circonspect :  » Ça va être un joyeux souk, oui ! Une dizaine de Jean Lassalle (NDLR : député des Pyrénées-Atlantiques et candidat à la présidentielle) vont passer entre les mailles du filet. Pittoresque ! Plus sérieusement, il va falloir suppléer l’inexpérience de la majorité des députés… Le ministre des Relations avec le Parlement ne va pas dormir beaucoup.  »

A l’époque de François Goulard, le président du groupe majoritaire, Jacques Barrot, prenait les râleurs par les sentiments :  » Mon cher collègue, vous touchez un point sensible… C’est très douloureux pour moi.  » Il feignait aussi facilement la colère que le malheur pour mieux contrôler ses troupes, dans ce théâtre grandeur nature que peut être l’Assemblée nationale. Cette année, alors que les socialistes ont banalisé la fronde dans l’Hémicycle et que la plupart des élus REM n’ont aucune idée du travail collectif, il faudra sans doute un peu plus à Richard Ferrand, qui quitte le gouvernement pour prendre la direction du groupe, que des talents de tragédien pour garder la main sur environ 310 députés.

Par Jean-Baptiste Daoulas et Elise Karlin.

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