Gérald Papy

« En France, il y a maintenant le devoir de rassembler »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

A côté de l’incroyable ascension d’Emmanuel Macron, beaucoup commentée depuis sa victoire de dimanche dernier, l’autre événement du premier tour de l’élection présidentielle française est l’atonie qui a accueilli la forte progression du vote en faveur de l’extrême droite.

En engrangeant 2,8 millions de voix de plus qu’en 2002 lorsque son père s’était qualifié pour la confrontation finale face à Jacques Chirac, Marine Le Pen a offert au Front national le meilleur score jamais récolté à une élection en France. Et, aux 7,67 millions de ses supporters du 23 avril, elle en ajoutera indéniablement quelques millions le 7 mai pour flirter avec les 40 % de votants, voire plus encore. C’est un séisme politique potentiellement plus marquant que l’émergence, même fulgurante, d’un candidat proposant un programme politiquement et économiquement libéral qui, hors la méthode et, qui sait, les résultats à venir, ne déroge pas au cadre démocratique classique.

Or, la réaction à cette menace directe sur les valeurs de la France n’a incontestablement pas été à la hauteur des enjeux. Les Républicains de François Fillon, Nicolas Sarkozy et… Alain Juppé ont adopté une attitude chèvre-choutiste en retrait du front républicain qui honore d’habitude la classe politique française. Ce positionnement préfigure des règlements de comptes internes que l’enjeu des législatives de juin ne fait que différer. Emanant d’un dirigeant présumé progressiste, la posture de neutralité distante affichée par un Jean-Luc Mélenchon rageur interpelle encore davantage. Le Monde a exhumé l’appel à  » bloquer Le Pen  » (le père) que le même homme avait pourtant lancé avant le second tour de la présidentielle de 2002 :  » Quelle conscience de gauche peut accepter de compter sur le voisin pour sauvegarder l’essentiel parce que l’effort lui paraît indigne de soi ?  » tempêtait-il alors. Quinze ans plus tard, le chantre de La France insoumise aurait-il perdu une part de sa conscience de gauche, ou a-t-il attiré à lui trop d’électeurs voyageant entre extrême gauche et extrême droite pour prendre le risque de les irriter ?

u0022Le laxisme à faire barrage à l’extrême droite inquiète d’autant plus qu’il semble refléter la montée d’une hargne inédite chez certains perdantsu0022

Ce laxisme républicain inquiète d’autant plus qu’il semble refléter la montée d’une hargne inédite chez certains perdants du premier tour. Comme si le verdict démocratique, exprimé par le peuple, ne s’imposait plus à tous au nom, paradoxalement, de la rupture en partie fantasmée entre un peuple dupé a priori et une élite par nature complotiste. Un second tour d’une présidentielle en France, élection personnalisée par excellence, traduit forcément un choix entre deux projets de gouvernement et de société. Cette année, la substitution au clivage gauche – droite d’une confrontation entre les tenants de la mondialisation et les défenseurs de la nation exacerbe sans doute l’antagonisme entre électeurs, tant l’enjeu semble quitter la sphère strictement politique pour appréhender une question de civilisation et une dimension existentielle.

On ne se résout pas pour autant à réduire le duel Macron – Le Pen à la seule opposition entre des citadins ouverts sur le monde et des ruraux repliés sur leurs terres, entre une France moderniste et une France périphérique à la traîne de la modernité, entre l’optimisme dont feraient preuve les supporters du premier et l’aigreur qui caractériserait nécessairement les partisans de la seconde. La France de Xavier Jugelé, le policier assassiné le jeudi 20 avril sur les Champs-Elysées, comme celle de Zinedine Zidane ou de Michel Serres, mérite mieux que cette promesse de guerre permanente. Pour l’éviter, c’est d’un président rassembleur et non clivant dont elle a besoin. A charge pour lui de savoir entendre la parole des perdants. Fameux défi.

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