Nikki Haley © Reuters

Empoisonnement espion: « la Russie responsable »

Le Vif

La Russie « est responsable » de l’empoisonnement d’un ex-espion au Royaume-Uni, a affirmé l’ambassadrice américaine à l’ONU, Nikki Haley. Même son de cloche du côté de Theresa May qui annonce quelques molles mesures de rétorsion britanniques qui ne font guère trembler Moscou. En Russie, on continue de nier en bloc ces accusations.

« Nous pensons que la Russie est responsable », a dit Nikki Haley, lors de cette session demandée en urgence par Londres. « Les Etats-Unis sont absolument solidaires du Royaume-Uni », a ajouté la diplomate, première voix américaine à accuser aussi clairement Moscou dans cette affaire.

Sergueï Skripal, 66 ans, et sa fille Ioulia, 33 ans, ont été retrouvés inconscients sur un banc le 4 mars à Salisbury (sud-ouest). Un policier a aussi été victime de l’empoisonnement commis au moyen d’un agent neurotoxique. Au centre de l’affaire, deux membres permanents du Conseil de sécurité, le Royaume-Uni où s’est déroulé l’empoisonnement, et la Russie, accusée d’en être responsable.

C’est Moscou qui a demandé que cette réunion soit publique alors que le Royaume-Uni la voulait à huis clos, a fait valoir Vassily Nebenzia. Relevant que l’ex-espion « ne représentait plus de menace » pour son pays, il a demandé à ses homologues de s’interroger pour savoir « à qui profite le crime », avant la tenue du Mondial de football dans son pays à l’été.

« Sans la fourniture de preuves irréfutables, nous n’avons pas à nous justifier », a asséné le diplomate russe, en déplorant que « la présomption d’innocence soit supplantée par la présomption de culpabilité ». « Nous ne sommes pas impliqués, la Russie n’a rien à voir avec cet évènement », a insisté Vassily Nebenzia, en dénonçant une « guerre de propagande » pour « instrumentaliser l’opinion publique ». Londres a refusé un accès à des échantillons des produits chimiques incriminés, a poursuivi Vassily Nebenzia. « Nous n’acceptons pas qu’on s’adresse à nous sur ce ton », a-t-il précisé en jugeant « inacceptables » et « irresponsables » les accusations britanniques.

Alors que le représentant britannique, Jonathan Allen, avait réclamé à ses partenaires « d’être au côté » de son pays, plusieurs ambassadeurs ont fait part de leur soutien. Sans dénoncer directement une responsabilité russe, le Français François Delattre a affirmé la « totale solidarité de la France » au Royaume-Uni. « Il ne peut y avoir d’impunité pour ceux qui ont recours aux armes chimiques », a renchéri son homologue polonaise Joanna Wronecka. Plusieurs Etats membres ont demandé des « enquêtes impartiales et exhautives », comme la Chine, le Kazakhstan qui a aussi appelé à la « prudence avant de tirer des conclusions », l’Ethiopie qui veut « une enquête indépendante » ou la Bolivie qui a souhaité qu’elle soit « dépolitisée ».

Sanctions britanniques contre Moscou: un premier acte mesuré

Des expulsions de diplomates, mais pas de sanctions économiques: les mesures de rétorsion britanniques annoncées contre la Russie dans l’affaire Skripal ne feront guère trembler Moscou, mais suggèrent que Londres garde des munitions pour la suite, selon des analystes.

La Première ministre Theresa May ne mâche pas ses mots quand elle se présente devant le parlement pour faire le point sur les suites à donner à l’empoisonnement sur le sol britannique de l’ex-espion russe Sergueï Skripal, 66 ans, et de sa fille Ioulia, 33 ans, hospitalisés depuis dans un état critique.

L’Etat russe, lâche-t-elle, est « coupable ». Moscou nie et dénonce une « provocation grossière ».

En n’apportant « aucune réponse » sur cette affaire, Moscou a « traité l’utilisation d’un agent neurotoxique militaire en Europe avec sarcasme, mépris et défiance », lance la dirigeante conservatrice, avant de dévoiler un éventail de sanctions présenté comme « solide et complet ». Au menu notamment: l’expulsion de 23 diplomates russes, un gel des contacts bilatéraux de haut niveau et un boycott, par les ministres britanniques et membres de la famille royale, de la Coupe du monde de football en Russie. Des sanctions finalement « beaucoup moins fortes que ce à quoi on s’attendait », souligne Jonathan Eyal, directeur adjoint du centre de réflexion londonien RUSI. Theresa May « n’a pas annoncé l’expulsion de l’ambassadeur russe à Londres. Pas plus qu’une rupture totale des relations avec Moscou », ajoute-t-il dans une vidéo publiée sur Twitter.

– ‘Réponse molle’ –

Pour Mathieu Boulègue, chercheur au cercle de réflexion londonien Chatham House, ces « réponses relativement molles » tranchent singulièrement avec la gravité des faits imputés à Moscou. « Il y a une déconnexion très claire entre l’annonce du fait que la Russie soit un Etat agresseur contre l’Angleterre, qu’elle ait commis un acte grave, selon Theresa May, sur le territoire britannique, et le niveau de réponse, particulièrement faible », insiste-t-il, interrogé par l’AFP. « Une réponse robuste, ajoute-t-il, aurait impliqué au niveau purement symbolique la suppression de la participation (de l’équipe) anglaise à la Coupe du monde », qui aurait pu avoir des conséquences imprévisibles sur la compétition. Londres aurait également pu annoncer « la mise en place immédiate de mesures de rétorsion économiques contre les intérêts oligarchiques russes proches du Kremlin, notamment des gels d’avoirs », poursuit le chercheur. « A mon sens, nous n’avons rien vu qui puisse entraîner un changement de position de la part du Kremlin », tout particulièrement à quelques jours de la présidentielle en Russie, renchérit Sam Greene, expert au King’s College de Londres.

– ‘Première étape’ –

Même son de cloche du côté du quotidien britannique The Guardian (centre gauche): certes, le Royaume-Uni va expulser 23 diplomates, présentés par Mme May comme étant des « agents du renseignement non déclarés », « mais ce n’est pas ça qui arrêtera l’espionnage russe », estime le journal. Quant au boycott de la Coupe du monde, « les responsables à Moscou ne se préoccupent guère de la présence » de ministres ou de membres de la famille royale. La Fifa a d’ailleurs assuré que la décision britannique « n’aura pas d’impact sur la qualité du tournoi ».

L’experte Julie Lenarz, du Human Security Centre, juge en revanche la réponse de la Première ministre « sensible et mesurée », et subodore une stratégie de riposte graduée de la part de l’exécutif britannique. « Le calcul du gouvernement a probablement été conçu pour laisser diverses options sur la table en fonction de la réaction de la Russie », estime-t-elle dans le journal conservateur The Daily Telegraph.

« C’est potentiellement une première étape », abonde Sam Greene en soulignant que Londres s’offre ainsi du « temps », pendant que l’enquête sur l’empoisonnement suit son cours.

Pour Jonathan Eyal, « la Première ministre a gardé des munitions sous le coude pour une future confrontation »: si la réponse de Moscou aux sanctions britanniques est « disproportionnée (…) il faut s’attendre à ce que Londres riposte avec de nouvelles mesures ». L’expert voit aussi dans la réponse de Theresa May un « message clair de la part des Britanniques qu’ils ne veulent pas d’une rupture totale des relations diplomatiques » avec Moscou.

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