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Emmanuel Macron doit maintenant affronter « le temps des boules puantes »

Dopé par les sondages, Emmanuel Macron se lance dans la bataille présidentielle, sûr de son originalité et de sa modernité. Mais saura-t-il résister aux attaques sur sa vie privée ?

Emmanuel Macron l’a fait dire à Nicolas Sarkozy : les rumeurs sur sa vie privée qui courent dans Paris, il en a identifié l’origine. Il sait qu’elles viennent d’un proche de l’ancien chef de l’Etat. Ce dernier a nié, sans convaincre. Nicolas Sarkozy n’est-il pas lui-même l’auteur d’un propos très ambigu sur Macron ?  » Il est cynique. Un peu homme, un peu femme, c’est la mode du moment. Androgyne.  » Jugement rapporté par Le Point du 12 mai. L’affrontement entre le néophyte et le professionnel aura peut-être lieu dans les urnes. Pour le moment, il se déroule sur le terrain gluant de la politique, celui des boules puantes.

u0022Macron est un imposteur qui ne vend que du vent. […] C’est dangereux pour notre démocratieu0022, Philippe Villin, banquier d’affaires proche de Sarkozy

Les boules puantes ?  » Mais on a déjà tout eu, s’exaspère un proche de l’ancien ministre de l’Economie, le patrimoine, la fiscalité, l’appartement d’Emmanuel… Tout cela a été passé au crible.  » Le principal intéressé le pense aussi :  » J’ai l’impression que certains m’ont déjà mis dans l’essoreuse. Je ne connais pas beaucoup de gens de 38 ans dont la vie privée, familiale, patrimoniale a fait l’objet d’un tel déballage « , confie-t-il au Vif/L’Express. Très sensible à ces sujets, le presque candidat croit que le pire est derrière lui. A tort. L’histoire des présidentielles abonde d’exemples, de l’affaire Markovic (contre Pompidou) à l’affaire Bettencourt (contre Sarkozy), en passant par celle des terrains de Mme Chirac (contre son mari). Plus il sera un danger pour ses concurrents, plus la lessiveuse tournera à grande vitesse. Est-il taillé pour résister ?  » Je l’ai prévenu, relate un de ses amis. Si tu te présentes, tout sera étalé, le fric, la vie personnelle. Je le crois suffisamment endurci pour affronter cela.  » Un patron qui connaît bien Macron nuance :  » Il y a beaucoup d’émotivité en lui. Il a très mal vécu la nomination de Jean-Pierre Jouyet comme secrétaire général de l’Elysée en 2014 (NDLR : il y a vu un concurrent, lui-même étant alors secrétaire général adjoint) ; il a surréagi aux coups d’épingle de Manuel Valls au printemps dernier.  » Et le soir de sa nomination comme ministre de l’Economie, le 26 août 2014, il s’est réfugié au ministère de l’Intérieur pour échapper aux caméras et photographes en faction devant son domicile parisien.

Ce n’est pas une question de courage. Macron n’a pas peur d’aller au contact, d’écouter les colères, d’être confronté à la détresse de salariés, à des agriculteurs qui hurlent leur désespoir ou le pleurent. Il ne fuit ni le débat ni le conflit. L’exposition de sa vie personnelle, c’est une autre histoire. Quand, le 31 mai, Le Canard enchaîné et le site Mediapart révèlent qu’il ne paie pas l’ISF en raison d’une sous-estimation du patrimoine de sa femme, il s’abrite, dans un premier temps, derrière le secret fiscal – qui a été violé dans le cas d’espèce.  » Je suis en règle […], mais je ne suis pas pour la société du déballage « , riposte-t-il, persuadé que le mauvais coup vient de son voisin de Bercy, Michel Sapin, alors ministre français des Finances et des Comptes publics. Il faudra attendre quelques jours (le 13 juin) pour qu’Emmanuel Macron admette les exigences, parfois ingrates, de la vie politique et délivre de plus amples détails sur son patrimoine et sa fiscalité via Facebook.

Pour le moment, les rumeurs sur sa vie privée ne circulent que sur Internet. Une récente – et incendiaire – tribune parue dans Le Figaro du 26 avril est passée inaperçue. Son auteur, Philippe Villin, banquier d’affaires proche de Nicolas Sarkozy, justifie son animosité :  » Pour moi, Macron est un imposteur qui ne vend que du vent. Il fait en sorte de plaire à tout le monde par un positionnement attrape-tout. Et c’est dangereux pour notre démocratie. C’est pourquoi je le combats chaque jour.  » Dans son texte, il étrille donc Macron, son action, son parcours. Et va encore plus loin :  » Les médias […] acceptent, béatement, la mise en scène d’une vie privée.  »

u0022Il y a des jours où j’ai l’impression de vivre avec Jeanne d’Arcu0022, Brigitte Macron, épouse d’Emmanuel

 » Si jamais la presse people reprenait ces bruits, je conseillerais à Emmanuel de porter plainte et de faire condamner le média. Il faut être violent, ne rien laisser passer « , dit un de ses amis. Pour l’heure,  » Emmanuel  » est sur un nuage. Il va, court, vole et engrange. Les sondages (Sofres, BVA) le donnent devant Hollande, les adhésions à En marche ! (78 000 à ce jour) affluent, les ralliements (de cadres et d’élus du MoDem de François Bayrou, par exemple) et les dévouements se multiplient : ils sont plusieurs milliers à avoir répondu positivement au mail sollicitant leur engagement dans les structures locales du mouvement. Sur le terrain, il suscite enthousiasme et curiosité. Le 14 septembre, il visite le Salon international des productions animales, à Rennes. L’envie de Macron se décline sous toutes ses formes, du  » Manu, viens boire un coup !  » au classique  » On compte sur vous pour 2017 « . Il est jeune, neuf, accessible, beaucoup ont envie d’y croire, comme les orphelins d’un amour déçu en quête d’une nouvelle passion. On le questionne sur la charte des langues régionales, la Françafrique, l’école, les dotations aux collectivités locales, le prix du lait. Il écoute beaucoup. Prendre la colère au visage est une expérience par laquelle il pense qu’il faut passer. Il explique, sourit, serre les mains, empoigne les bras, tactile et chaleureux. Mais ne promet jamais, il ne veut pas raconter qu’il va nationaliser ou fermer les frontières. De la campagne de 2012 menée auprès de François Hollande, il a appris que les promesses peuvent être autant de sparadraps.  » Ce que l’on voit sur le terrain, la demande des gens, cela m’oblige. Il ne faut pas le prendre à la légère, il nous faut être à la hauteur et apporter un cap et des réponses crédibles « , dit-il au Vif/L’Express. Donc, il y va, à la présidentielle ? Question désormais rituelle. Réponse :  » Ce que je fais correspond à une aventure collective. Si vous dites : « J’irai porter ces idées », vous êtes dans une démarche personnelle. Moi, je dis : « Je fais tout pour que ces idées gagnent ».  » Précision : Macron ne les voit pas gagner sans lui.

 » Emmanuel est apeuré et habité « , affirme l’un de ses amis. Sa femme, Brigitte, ne dit pas autre chose :  » Il y a des jours où j’ai l’impression de vivre avec Jeanne d’Arc.  » Une simple boutade, vraiment ? Macron, lui-même, parle du  » temps de l’incarnation « . Dans une interview à l’hebdomadaire Le 1, le 14 septembre, il affirme :  » Sky is the limit « … Sur terre, son ambition n’en a aucune, de limite. En 2007, Gérard Larcher, alors ministre délégué à l’Emploi, avait comparé la candidate Royal à un télévangéliste. Aujourd’hui, il y a du Ségolène en Emmanuel.

Le voilà lancé dans la course au sommet. Avec ses forces, liberté, culot, regard nouveau. Et ses fragilités. Pas de parti, pas d’appareil, pas d’argent, pas de programme. En tout cas, pour le moment. Et pas de cuirasse. Certains de ceux qui apprécient l’homme et ses idées sont déconcertés.  » Il est devenu fou, dit l’un d’eux. Il réécrit l’histoire, il raconte qu’Hollande l’a nommé ministre pour ses qualités, sa compétence, alors qu’il a servi de roue de secours après le refus de l’industriel Louis Gallois d’aller à Bercy.  » Un autre complète :  » Il ne veut qu’une chose : être président de la République. Je lui ai dit qu’une candidature hors sol n’avait jamais fonctionné sous la Ve République, mais il n’écoute plus, il est parti dans son truc. Je continue à le voir, parce que je l’aime bien.  » Un troisième fait remarquer :  » En 2004, il entre à l’Inspection des finances et, déjà, il dit qu’il sera président de la République.  » Et rien d’autre : il y a un peu moins d’un an, Bernard Tapie lui conseille de prendre la mairie de Marseille. La bourgeoisie locale, Jean-Claude Gaudin (l’actuel maire) et les quartiers Nord, tous à la fois, en seraient flattés. Il répond : c’est le monde d’hier…

Dites à son équipe que Juppé serait un concurrent plus dangereux que Nicolas Sarkozy, car il navigue, lui aussi, en terre centriste.  » Juppé ? Ah oui, le symbole du renouveau et de la modernité « , ironise un proche. Parlez de Bayrou, candidat seulement si Nicolas Sarkozy gagne la primaire de la droite. Comment peut-on être à la fois une doublure de Juppé et un recours contre Sarkozy ?  » La France, on la désire ou pas « , dit Macron. De son côté, le patron du MoDem, sentant la captation d’héritage, s’en donne à coeur joie contre ce gêneur, le dénonçant comme le candidat  » des forces de l’argent « , en raison de son passé de banquier d’affaires.  » Il ne manque plus qu’une allusion au complot judéo-maçonnique « , se moque un membre de l’entourage de Macron.

Pour compenser ses fragilités, Macron répond d’un mot :  » originalité « . Il n’a pas d’appareil ? Il est en train de le constituer, avec un comité politique, des déclinaisons locales. Il veut faire émerger des talents, fédérer des personnes qui ne se sont jamais engagées jusque-là. De toute façon, l’appareil, il en relativise la nécessité :  » Ce n’est pas ce qui compte, dit-il, il y a une désaffection pour les partis, mais toujours un appétit pour la politique.  » Et puis, la victoire ne fabrique-t-elle pas des amis, qu’il s’agisse d’investir des candidats pour les législatives ou de recueillir les 500 signatures d’élus indispensables pour se présenter à la présidentielle ? Même si la collecte n’a pas encore commencé.

Il met un point d’honneur à dérouler son calendrier tel qu’il l’a prévu. A la fin de septembre, il présente son diagnostic de la France, en deux ou trois fois, dans des villes de province. Va-t-il réinventer la poudre et découvrir que les Français veulent des emplois, des crèches et de la protection ? Son équipe vous promet que non, ce sera plus subtil, plus intelligent. Ensuite, viendra le temps des propositions. Là encore, il veut se distinguer. Il ne va pas rédiger un catalogue comme les candidats à la primaire de la droite. Non, il lancera de grands thèmes (par exemple, la rénovation politique) pour susciter le débat autour de ses positions.

Trop tard, trop précipité, trop narcissique ?  » Il y a seulement dix ans, Emmanuel était condamné à l’échec, analyse un proche. Aujourd’hui, il se nourrit de la nullité des deux grands partis de gouvernement, totalement décrédibilisés. Et du triomphe du numérique, dont il comprend parfaitement les ressorts.  » Dans les pics de son actualité, par exemple au moment du meeting à la Mutualité à Paris, le 12 juillet, sa présence sur les réseaux sociaux est supérieure à celle de Marine Le Pen, elle-même le plus souvent en tête. Comme dans les dessins animés de Tex Avery, Macron marche dans l’air. Il suffit de ne pas regarder en bas…

Par Corinne Lhaïk.

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