La chancelière allemande a fait élire " AKK " au poste stratégique de secrétaire générale de la CDU. © J. MACDOUGALL/AFP

Elle pourrait succéder à Angela Merkel, mais qui est Annegret Kramp-Karrenbauer ?

Le Vif

Qui pourrait succéder à Angela Merkel ? Du mini-Land de Sarre jusqu’à Berlin, l’étonnante Annegret Kramp-Karrenbauer, alias « AKK », paraît très prometteuse…

Qui parle de mortel ennui au sujet de la politique allemande ? Certainement pas Annegret Kramp-Karrenbauer, étoile montante et nouvelle no 2 du parti d’Angela Merkel, l’Union chrétienne-démocrate (CDU), désormais bien placée pour lui succéder, le temps venu. A chaque mardi gras, lors du carnaval – une tradition solidement ancrée dans le sud-ouest catholique du pays -, celle qui, voilà encore un mois, était ministre-présidente du Land (région) de Sarre, se transforme en… femme de ménage ! A l’heure où tous les Sarrois sont rivés devant leur téléviseur, la quinquagénaire monte sur scène et accomplit un étonnant numéro de stand-up d’une demi-heure, déguisée en Gretel, son désormais fameux personnage d’agent d’entretien affecté aux bureaux et aux couloirs du gouvernement.

Balai en main et fichu sur la tête, elle égratigne avec humour et bon sens les travers du personnel politique, amis et adversaires, sans oublier personne, pas même… la ministre-présidente Annegret Kramp-Karrenbauer. Quasi professionnels, ses sketchs annuels, écrits par ses soins, ravissent, depuis 2011, les invités de la soirée de gala – des notables de Sarrebruck eux aussi déguisés – autant que les téléspectateurs de la région. Mieux : en 2015, cette performance récurrente lui a valu la plus haute distinction carnavalesque, décernée chaque année à Aix-la-Chapelle (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) : l’Ordre contre le vachement sérieux ( » Orden wider den tierischen Ernst « ). Qui, d’évidence, lui va comme un gant. Reste à lui trouver un nom de scène en remplacement de son patronyme impossible à mémoriser. Une bonne partie de l’Allemagne l’a déjà fait, en optant pour ses initiales,  » AKK « , qui claquent comme une marque de fabrique.

Pratiquante, cette mère de trois enfants a rencontré Benoît XVI au Vatican (ci-dessus en 2013), ainsi que son successeur, François.
Pratiquante, cette mère de trois enfants a rencontré Benoît XVI au Vatican (ci-dessus en 2013), ainsi que son successeur, François.© AFP

Voici donc le nouvel animal sorti du chapeau d’Angela Merkel qui, une fois de plus, démontre son exceptionnel savoir-faire politique. En difficulté après le résultat des élections fédérales du 24 septembre 2017 (en tête, la CDU n’était toutefois pas majoritaire) et après l’échec d’une tentative de coalition dite  » Jamaïque  » (noir, jaune et vert, selon les couleurs des partis chrétien-démocrate, libéral-démocrate et écologiste, semblables au drapeau de l’île antillaise), la chancelière devait résoudre deux problèmes.

D’abord, reconduire un gouvernement de  » grande coalition « , ou GroKo, avec les sociaux-démocrates (SPD), en y injectant du sang neuf afin d’effacer l’impression de déjà-vu. C’est chose faite : la composition du Kabinett Merkel IV est connue depuis le début de mars. Le SPD y obtient d’importants portefeuilles – Finances (Olaf Scholz), Affaires étrangères (Heiko Maas), Justice (Katarina Barley), Travail (Hubertus Heil), Famille (Franziska Giffey), Ecologie (Svenja Schulze). Ensuite, la chancelière devait répondre, au sein de son parti CDU, à l’impatience de la jeune génération, qui attend son heure, à l’image du  » frondeur  » Jens Spahn, 37 ans, très critique de la gestion de la crise des réfugiés.  » La grande habileté de Merkel est d’avoir nommé Spahn au ministère de la Santé afin de neutraliser ses ardeurs, tout en faisant élire AKK secrétaire générale de la CDU, c’est-à-dire son no 2 « , pointe le politologue allemand Hans Stark, à l’Institut français des relations internationales (Ifri).

AKK a été ministre-présidente de la Sarre pendant sept ans (ici, en campagne pour les élections régionales, en 2017).
AKK a été ministre-présidente de la Sarre pendant sept ans (ici, en campagne pour les élections régionales, en 2017).© IMAGO/STUDIO X

Elue avec 98 % des voix par 794 délégués à ce poste hautement stratégique, AKK est chargée de renouveler le programme du parti, un tantinet daté, en vue des futures échéances électorales. Si elle y parvient, elle sera idéalement positionnée pour succéder à Merkel : intelligente, expérimentée, bonne gestionnaire, efficace en campagne électorale, elle est aussi populaire, proche des gens, et pas arrogante pour un sou. Pour autant, elle sait mordre : la semaine dernière, elle a sévèrement taclé Jens Spahn, qui expliquait en substance que les minima sociaux suffisaient à vivre :  » Il est invraisemblable que des gens qui, comme lui ou moi, gagnent bien leur vie, tiennent de tels propos « , a-t-elle lâché à propos de son collègue de parti.

Selon le président du Parlement de la Sarre, Stephan Toscani (CDU), proche d’AKK,  » sa force est d’incarner parfaitement la synthèse des trois principaux courants de la CDU : le catholicisme social, qui est un trait caractéristique de la Sarre ; un certain conservatisme sur les questions sociétales ; et le libéralisme économique imprégné de capitalisme rhénan « . Ce dernier implique notamment un rôle important des banques régionales, un solide partenariat syndicat-patronat et un système de protection sociale développé.

Positionnée à la gauche de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer s’est alignée sur la Willkommenskultur (la culture de l’accueil) d’Angela Merkel, pendant la crise des migrants.  » Du reste, reprend Stephan Toscani, sous le règne d’AKK (2011-2018), notre région a géré le flux des arrivants avec célérité, intégrant rapidement les uns et renvoyant sans délai ceux qui n’avaient pas le droit de rester, le tout grâce à notre modèle de centre d’accueil unique, qui fait désormais école dans le pays.  »

Catholique et mère de trois enfants, l’étoile montante de la CDU a rencontré Benoît XVI, puis François, au Vatican, et assume son conservatisme. Opposée au  » mariage pour tous « , elle conçoit le schéma familial  » avec un papa et une maman « . Enfin, cette libérale n’a pas besoin de proclamer ses convictions européennes ; elles sont inhérentes à son lieu de naissance. Plus petit des 16 Länder allemands, après celui de Brême, la minirégion de la Sarre (un million d’âmes seulement), frontalière de la Lorraine française et du Luxembourg, se considère comme  » une petite Europe dans l’Europe « . Et comme un pivot franco-allemand malgré une histoire conflictuelle.

Lors de chaque mardi gras, Annegret Kramp-Karrenbauer se grime en femme de ménage et égratigne le petit monde politique, au point d'être distinguée en 2015 par
Lors de chaque mardi gras, Annegret Kramp-Karrenbauer se grime en femme de ménage et égratigne le petit monde politique, au point d’être distinguée en 2015 par  » l’Ordre contre le vachement sérieux « ..© J. CARSTENSEN/DPA PICTURE-ALLIANCE/AFP

Lancée en 2013 par la francophone AKK, la  » Stratégie France  » est l’un des axes majeurs de la politique du Land. L’objectif ? Faire de ce dernier une région bilingue en l’espace d’une génération, à l’horizon 2043. Déjà, la moitié des jardins d’enfants et des écoles maternelles a recruté des éducatrices françaises afin de s’adresser aux enfants de Goethe dans la langue de Molière.

Malgré les résistances initiales des parents sarrois, qui craignaient de voir l’apprentissage de l’anglais reculer, elle a tenu bon et fini par convaincre.

Relativement méconnue à Berlin, Annegret Kramp-Karrenbauer y débarque pourtant précédée de sa réputation : celle d’une femme au caractère trempé dans l’acier de sa ville natale – Völklingen, haut lieu de la sidérurgie sarroise – et qui a déjà géré les portefeuilles régionaux de l’Intérieur, de l’Education, du Travail et de la Justice. Lorsqu’elle devient ministre-président de la Sarre en 2011, elle hérite d’une  » coalition Jamaïque « , qui fonctionne mal en raison de divergences profondes avec les libéraux. Au bout d’un an, la très pragmatique AKK décide de dissoudre son gouvernement régional pour convoquer de nouvelles élections.  » Et cela contre l’avis d’Angela Merkel, qui, à l’époque, gouverne avec les libéraux à Berlin ! « , se souvient le ministre de la Justice sarrois, Roland Theis (CDU). Réélue, AKK a les coudées franches et se débarrasse de la  » coalition Jamaïque « .

En 2017, nouveau coup d’éclat. Au moment où le candidat social-démocrate Martin Schulz semble avoir le vent dans les voiles et mène campagne contre Merkel, AKK remporte un nouveau scrutin régional au terme d’une campagne qui redonne le moral à la CDU : dans les trois dernières semaines, elle gagne sept points dans les sondages.  » C’est cette victoire qui a cassé net la dynamique des sociaux-démocrates du SPD et braqué les projecteurs sur Annegret Kramp-Karrenbauer, nouvel espoir de la CDU « , précise encore le ministre régional de la Justice.

Lors de chaque mardi gras, Annegret Kramp-Karrenbauer se grime en femme de ménage et égratigne le petit monde politique.
Lors de chaque mardi gras, Annegret Kramp-Karrenbauer se grime en femme de ménage et égratigne le petit monde politique.© CAPTURE D’ÉCRAN

 » Dès lors, tout le monde s’attendait à ce que la ministre-présidente de la Sarre soit bombardée ministre au sein du gouvernement Merkel IV « , raconte la journaliste de la Saarbrücker Zeitung Hélène Maillasson. Seul problème : il y a déjà deux ministres sarrois à Berlin – Peter Altmaier (CDU) à l’Economie et l’Energie et Heiko Maas (SPD) aux Affaires étrangères. Impossible d’en nommer un troisième sans froisser les autres Länder.

En concertation avec Angela Merkel, AKK opère alors un pari d’une folle audace, inédit en Allemagne. Pour la première fois, un ministre-président d’un Land abandonne sa prestigieuse sinécure – et, dans son cas, la certitude d’être réélue dans quatre ans – pour se mettre au service de l’intérêt supérieur de son parti. Une entreprise risquée :  » En Sarre, son pouvoir est incontestable, mais à Berlin, elle n’est personne « , prévient Jochen Flackus, député Die Linke (La Gauche) au parlement de Sarre.

Reste une inconnue. AKK parviendra-t-elle à réconcilier la CDU avec elle-même, en redéfinissant son programme afin de stopper l’érosion qui conduit ses électeurs vers les extrémistes d’Alternative für Deutschland (AfD) et les libéraux du FDP ? Si la réponse est oui, un scénario pourrait se dessiner, selon le spécialiste de l’Allemagne Henri Ménudier :  » Angela Merkel s’éclipserait de la CDU à mi-mandat afin de mettre AKK sur rampe de lancement.  »

Et si, ensuite, elle accède à la fonction suprême, une question fondamentale s’imposera : AKK, alias Gretel, continuera-t-elle à faire le clown sur scène, balai en main et en tenue de femme de ménage, à la fin de chaque carnaval ?

Par Axel Gyldén.

Quand les Sarrois « montent » à Berlin

Le Land a déjà fourni plusieurs hommes politiques de premier plan.

Peter Altmaier (CDU), ministre de l’Economie

Ancien député, ministre de l’Environnement en 2012 dans le gouvernement Merkel II puis, de 2013 à 2018, ministre des Finances sous Merkel III. Fidèle de la chancelière.

Peter Altmaier (CDU).
Peter Altmaier (CDU).© J. MACDOUGALL/AFP – A. SCHMIDT – R. ORLOWSKI/REUTERS – R. NOVOSTI/AFP

Heiko Maas (SPD), ministre des Affaires étrangères

Sans expérience internationale, l’ex-ministre de la Justice (sous Merkel III) est toutefois réputé connaisseur des questions européennes.

Heiko Maas (SPD).
Heiko Maas (SPD).© J. MACDOUGALL/AFP – A. SCHMIDT – R. ORLOWSKI/REUTERS – R. NOVOSTI/AFP

Oskar Lafontaine (Die Linke), député régional en Sarre

Ministre-président de Sarre (1985-1998) puis ministre des Finances (1998-1999) sous Gerhard Schröder. Quitte le SPD en 2005 pour fonder Die Linke.

Oskar Lafontaine (Die Linke).
Oskar Lafontaine (Die Linke).© J. MACDOUGALL/AFP – A. SCHMIDT – R. ORLOWSKI/REUTERS – R. NOVOSTI/AFP

Erich Honecker (1912-1994), ancien chef d’Etat

Rejoint, adolescent, le Parti communiste. Arrêté par la Gestapo en 1937, libéré après guerre. Dirige l’Allemagne de l’Est (RDA) de 1971 à 1989. Mort au Chili.

Erich Honecker (1912-1994).
Erich Honecker (1912-1994).© J. MACDOUGALL/AFP – A. SCHMIDT – R. ORLOWSKI/REUTERS – R. NOVOSTI/AFP

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