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Elections au Maroc : les jeunes attendront

Les élections du 25 novembre sont les premières après l’adoption de la nouvelle Constitution. Mais les pratiques des partis n’ont pas changé. Les caciques y tiennent toujours le haut du pavé, et laissent la génération montante à l’écart du jeu politique.

Les directives royales ne sont pas toujours suivies d’effets. Dans un discours prononcé le 20 août dernier, Mohammed VI invitait les partis politiques du royaume à « donner leur chance aux jeunes et aux femmes pour favoriser l’émergence d’élites qualifiées à même d’apporter du sang neuf à la vie politique ». Sa Majesté risque d’être déçue. « L’establishment n’est pas dans une logique de changement », analyse Fouad Abdelmoumni, l’une des têtes pensantes de la « deuxième gauche » marocaine.

Des positions éligibles négociées

Première consultation depuis l’adoption par référendum, le 1er juillet, de la nouvelle Constitution du royaume, les élections législatives du 25 novembre doivent doter le pays d’un parlement et d’un gouvernement aux pouvoirs élargis avec un Premier ministre obligatoirement issu du parti arrivé en tête. Voulue par le souverain dans le sillage du « printemps marocain », cette nouvelle donne n’a pourtant pas modifié d’un iota le comportement de la classe politique. La constitution des listes électorales tient du mercato. Barons locaux et chefs de clan « achètent » les positions éligibles sur les listes en échange de la mise à disposition de leurs moyens et de leurs réseaux. Jusqu’à cette année, il était même fréquent de voir des notables changer d’étiquette en cours de législature. Cette « transhumance » est désormais interdite. Dans les partis les plus anciens comme l’Istiqlal (le Parti de l’indépendance) ou l’Union socialiste des forces populaires (USFP), qui constituent de vraies familles politiques, les caciques sont plus fidèles. Ces deux formations « historiques » n’en sont pas moins devenues, elles aussi, au fil des ans des partis de notables. « La direction du parti veut des candidats qui aient le maximum de chances de passer : elle optera donc toujours pour un notable bien implanté localement, qui a plus de chances d’être élu, plutôt que pour un jeune sans réseau », admet Fathallah Oualalou, maire de Rabat et l’un des dirigeants de l’USFP.

Peine perdue contre les éléphants, les notables…

Ismail Balafrej, 36 ans, a fait les frais de cet ostracisme. Encouragé par le vent du changement, ce jeune cadre avait décidé de se porter candidat à l’investiture dans une circonscription tenue depuis fort longtemps par Driss Lachgar, un apparatchik de l’USFP décrié pour son opportunisme. Sans surprise, le bureau politique a préféré reconduire le sortant. « Je souhaitais relayer, au sein du parti, la dynamique du Mouvement du 20 février, tenter de faire bouger les choses de l’intérieur, explique Ismail. Mais face aux « éléphants » agrippés à leurs sièges, c’est peine perdue. On perpétue un système de rente. » Au Parti authenticité et modernité (PAM) – parrainé par l’un des proches du roi, Fouad Ali el-Himma -, Mehdi Bensaid, 27 ans, s’est heurté à la résistance des notables. Il est de ceux qui ont cru que l’arrivée de ce parti sur la scène politique allait changer les choses. Président du Cercle des jeunes démocrates marocains, une association proche de cette formation, il a d’abord postulé pour la tête de liste à Salé, près de Rabat. A défaut d’obtenir cette place, que le sortant ne voulait pas lâcher, il s’est ensuite porté candidat sur la liste nationale, réservée aux femmes en 2007 et élargie aux jeunes cette année. Sans illusions. « Certains barons, explique-t-il, n’ont accepté de ne pas se représenter qu’à la condition que leurs propres fils soient inscrits sur cette liste »à Un seul parti situe clairement son combat sur le terrain de l’idéologie et du militantisme : le Parti de la justice et du développement (PJD), d’obédience islamo- conservatrice. « Nous sommes mal vus du Palais, alors nous n’attirons pas les opportunistesà », commente Mounir, un ingénieur de 33 ans qui adhère à ce courant depuis quelques années.

Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que de nombreux jeunes restent à l’écart du jeu politique, quand ils ne rejettent pas carrément le système. « Ils veulent du sérieux, de la rigueur, des gens propres et compétents », souligne le publicitaire Noureddine Ayouch, président du Collectif démocratie et modernité, qui s’était beaucoup investi, lors du scrutin de 2007, dans la lutte contre l’abstention. Les associations qui tentent de convaincre les jeunes de ne pas bouder les urnes sont quasiment les seules à organiser des débats d’idées autour des programmes des partis. L’une d’elles, créée, cet été, par des étudiants d’une école d’ingénieurs de Casablanca et l’un de leurs professeurs, Mohamed Alami Berrada, 33 ans et diplômé de l’Essec, a même décidé de lancer un benchmarking (une batterie de tests comparatifs) afin de « scorer » – des termes empruntés au jargon du marketing – les principales formations politiques, un peu comme on le fait des lave-linge ou des fours à micro-ondes ! L’idée peut paraître saugrenue, mais ses promoteurs sont convaincus que c’est la meilleure façon d’aider les électeurs à choisir.

La plupart des composantes du Mouvement du 20 février, à l’origine du printemps marocain, ont, elles, opté pour le boycott du scrutin. Au risque de laisser les factions les plus radicales et les plus minoritaires, gauchistes ou islamistes, récupérer la vague contestataire. Ce choix de l’abstention, s’il protège leur indépendance, traduit aussi l’incapacité de passer de la prise de parole à l’action politique. « La Constitution n’instaure pas une vraie monarchie parlementaire, argumente Hamza Mahfoud, un blogueur qui fut l’un des animateurs du mouvement à Casablanca. C’est une démocratie maquillée. Et je ne fais pas confiance au système. » « Au lieu de se focaliser sur le Palais et le régime, les contestataires auraient mieux fait de secouer le cocotier dans les partis ! » tonne Karim Tazi, un homme d’affaires atypique qui a soutenu le mouvement à ses débuts.

Il y a fort à parier que le Parlement qui sortira des urnes le 25 novembre ressemblera beaucoup au précédent : une assemblée de notables, largement atone. Khalid el-Hariry, député USFP terminant son deuxième mandat, est l’un des rares à avoir décidé de jeter l’éponge. « La plupart des élus, dit-il, ont une conception très passive de leur rôle. A cela s’ajoute le manque de moyens. Tous partis confondus, nous n’étions que quelques dizaines à nous activer. Nous n’avons sans doute pas utilisé plus de 20 % des possibilités qui étaient les nôtres avec l’ancienne Constitution. Les nouveaux pouvoirs donnés au Parlement par le nouveau texte risquent donc de rester très théoriques si les élus sont les mêmes et s’ils ne font pas preuve de plus de volontarisme. » Le risque serait alors que la contestation reparte, attisée par le mécontentement social lié au chômage, à la pauvreté et à la vie chère. D’autant qu’une partie de l’appareil d’Etat se comporte comme si le nuage de la révolution arabe avait contourné le royaumeà

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE DOMINIQUE LAGARDE

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