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Egypte: que veut exactement l’armée?

Le Vif

Après que les opposants lui ont demandé de faire pression sur le président Morsi, l’armée égyptienne a laissé 48 heures au chef de l’Etat pour prendre en compte « les revendications du peuple ». Que peuvent et que veulent faire les militaires? Explications.

« Le peuple et l’armée, main dans la main, le peuple et l’armée ne font qu’un! » Les milliers de manifestants anti-Morsi ont repris ces derniers jours en Egypte ce slogan clamé aux toutes premières heures de la révolution pour demander aux militaires d’intervenir. En janvier et février 2011, à l’inverse de la police, l’armée jouissait d’une forte popularité pour s’être abstenue de réprimer les premiers manifestants de la place Tahrir.

Les opposants ont donc accueilli avec enthousiasme, lundi, l’ultimatum de 48 heures lancé par le commandement militaire. Celui-ci enjoint le gouvernement de satisfaire « les revendications du peuple », faute de quoi « les forces armées annonceront « une feuille de route et des mesures pour superviser sa mise en oeuvre ».

L’armée, recours pour une partie des manifestants…

Le mouvement Tamarrod, à l’origine des manifestations de masse contre le président égyptien, dimanche, avait appelé les militaires à « se positionner clairement du côté de la volonté populaire ». Message reçu, puisque les hélicoptères de l’armée qui survolaient les manifestations lâchaient sur la foule des drapeaux pour manifester leur soutien aux contestataires. Même le nationaliste de gauche et ancien candidat à la présidentielle Hamdine Sabahi a appelé les forces armées à « agir, car elles ont toujours été aux côtés du peuple ».

Les personnalités proches de l’ancien régime rêvent d’un retour à l’ordre ancien. Pour eux, la démocratie équivaut au désordre
Mais l’opposition est très hétéroclite. Il y a, d’une part, « les révolutionnaires de la première heure, qui estiment qu’en affrontant les Frères musulmans, ils continuent la révolte commencée en janvier 2011, explique Stéphane Lacroix, maître de conférences à Sciences-po Paris et spécialiste de l’islam politique. Ceux-là ne sont pas favorables à un retour des militaires dans le jeu. S’ajoutent à eux une grande masse d’Egyptiens moyens, dont beaucoup descendent pour la première fois dans la rue. Eux sont surtout fatigués de la dégradation de la situation économique et sécuritaire. A l’autre bout du spectre politique, les Fellouls, les personnalités proches de l’ancien régime, rêvent d’un retour à l’ordre ancien. Pour eux, la démocratie équivaut au désordre. Tous ne verraient donc pas d’un même oeil une intervention de l’armée ».
Une bonne partie de l’opposition souhaite que l’armée fasse pression sur les Frères musulmans pour les obliger à céder du terrain, sans qu’elle prenne pour autant les rênes du pouvoir.

… mais responsable du chaos institutionnel et d’atteintes aux droits de l’homme

Nombre de manifestants semblent avoir oublié que l’armée a pris les manettes du pays pendant 18 mois, après la chute du président Moubarak, avec un bilan plus que mitigé. Les Frères musulmans ont commis beaucoup d’erreurs, mais « ce sont les militaires qui ont fixé au départ les nouvelles règles du jeu politique », règles qui ont abouti à l’impasse institutionnelle actuelle, expliquait il y a quelques jours Sophie Pommier à L’Express, professeur à Sciences-Po Paris.

A l’époque, certains des opposants qui, aujourd’hui, en appellent aux militaires n’avaient pas de mots assez durs pour critiquer le Conseil suprême des forces armées (CSFA), accusé de perpétuer un pouvoir autoritaire et d’être responsable de graves violations des droits de l’Homme – par exemple, la mort de 28 coptes tués en octobre 2011 alors qu’ils manifestaient pour demander l’arrêt des hostilités envers leurs communauté. Ou, un mois plus tard, les dizaines de victimes de la répression des manifestations qui dénonçaient la main mise des militaires sur le pays.

L’armée veut-elle vraiment le pouvoir?

L’armée n’est pas particulièrement désireuse de reprendre directement les commandes, explique Stéphane Lacroix. Certains haut-gradés égyptiens ont confessé en privé garder un souvenir difficile de la période où ils ont directement géré les affaires, en 2011-2012. L’armée a d’ailleurs nié, ce mardi, préparer un « coup », et assuré que la déclaration de son chef, le général Abdel Fattah al-Sissi, ministre de la défense depuis que son prédécesseur, le maréchal Tantaoui, a été écarté par le président Morsi en aout dernier, visait seulement « à pousser tous les bords politiques à trouver une issue rapide à la crise actuelle ». Dans la foulée, le Front du salut national (FSN, principale coalition de l’opposition) a démenti soutenir un coup d’Etat militaire. L’organisation d’une nouvelle élection présidentielle dans un bref délai préserverait une apparence de légalité

« Les militaires se contenteraient d’une garantie de conserver leurs privilèges et leurs prérogatives, comme à l’époque de Moubarak, précise Stéphane Lacroix. S’ils obligeaient Morsi à démissionner et mettaient aux commandes un civil, quel qu’il soit, une bonne partie de la rue y serait hostile, en raison de l’hétérogénéité des manifestants, ce qui contribuerait à la poursuite de l’instabilité ». Si, en revanche, « l’armée se limitait à faire pression sur le président pour que, tout en restant au pouvoir, il organise une nouvelle élection présidentielle dans un bref délai, elle préserverait ainsi une apparence de légalité et permettrait que la transition se face en douceur ».

Par Catherine Gouëset

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