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Egypte: « Morsi, va-t-en! »

Après les affrontements de la nuit de mercredi à jeudi, les premiers entre des civils, depuis l’élection du président égyptien Frère musulman Mohamed Morsi, ses opposants sont tous unis jeudi autour d’un même slogan, son départ. Notre correspondante était parmi eux.

« Moi, jusqu’à aujourd’hui, je me contentais de suivre les événements en regardant la télévision. Mais aujourd’hui, ça suffit, je suis dans la rue », dit cet homme de quarante ans qui a quitté sa maison confortable, non loin de là, pour aller servir de garde dans les comités de protection populaire anti-Morsi qui filtrent les manifestants. Aux abords du palais présidentiel, vers sept heures, les cortèges arrivent du centre du Caire. Tous les partis sont représentés, toutes les religions, et tous les niveaux sociaux. Mais il y a de plus en plus, ces jours-ci, d’Egyptiens aisés, auparavant frileux envers la politique ou envers toute manifestation, qui les rejoignent. Beaucoup descendent dans la rue pour la première fois de leur vie, surtout après cette bataille entre pro et anti-Morsi, dans la nuit de mercredi à jeudi, qui rappelle à tous la bataille des chameaux le 2 février 2011. Le discours que Morsi a prononcé jeudi soir a encore envenimé la situation car ses opposants ont l’impression que le président se moque d’eux et ne les écoute pas, comme Moubarak en son temps.

« Hier cinq ou six personnes sont mortes dans les affrontements avec les partisans de Morsi. Après cela, il ne représente plus tous les Egyptiens. Il ne mérite plus d’être président », dit Naguib Abadir, membre du bureau politique du Parti des Egyptiens libres, alors qu’il participe à l’une des marches parties en fin d’après-midi à destination du palais présidentiel. Comme pendant la « révolution » de début 2011, il y a un couvre-feu (aux abords du palais du moins), mais personne ne s’en préoccupe. Constitué de libéraux, de coptes, et de sécularistes, le parti de ce manifestant n’a jamais porté les Frères musulmans dons son coeur. Mais son discours est désormais sur toutes les lèvres. Devant le palais présidentiel, Sameh Mahrouss, musulman, et qui gagne 400 livres égyptiennes par mois, montre sur sa chemise le sang des blessés qu’il a aidés à transporter mercredi.

« Des frères se battent entre eux maintenant. Ce n’est pas ça l’Egypte. Morsi se moque de nous. Shafiq [le candidat de l’ancien régime à la présidentielle de juin] aurait été moins pire… »

« Les opposants à Morsi se sentent menacés aujourd’hui », souligne Heba Yasin, porte-parole du Courant populaire, femme de gauche, voilée, et qui a voté aux dernières élections pour Hamdeen Sabahi, candidat de la gauche laïque. Elle manifeste aussi devant le palais présidentiel. « Hier des partisans des Frères musulmans nous ont attaqués violemment, à coups de pierres, de couteau, en tirant des balles réelles… Qu’est-ce que c’est que ça, un président qui a des milices! »

« Les défenseurs armés de Morsi ne sont pas vraiment politisés, c’est un problème d’éducation, on leur a fait un lavage de cerveau. En venant nous attaquer, ils croient défendre la religion », explique un manifestant au front qui arbore une blessure qu’il a reçue hier.

L’organisation des Frères musulmans et leur parti, Justice et Liberté, ont une tout autre vision des événements. Ils disent que ce ne sont pas les révolutionnaires, mais les partisans de l’ancien régime qui leur sont opposés aujourd’hui. Ils accusent même les figures du conseil présidentiel proposé par l’opposition de chercher à mettre le pays à feu et à sang. Selon eux, la déclaration qui accroît les pouvoirs de Mohamed Morsi et sa volonté de hâter le vote de la Constitution visent à accomplir les buts de la révolution. D’ailleurs, ce projet de Constitution comprend notamment une clause interdisant aux anciens dirigeants du parti de Moubarak de se présenter à des élections pour les prochaines années, arguent-ils. Ils rappellent aussi que les opposants aux Frères musulmans ont attaqué et incendié nombre de leurs centres dans les jours ou semaines passées, en particulier le siège des Frères musulmans jeudi soir au Caire.

Par Sophie Anmuth, au Caire

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