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Egypte: les raisons de la nouvelle flambée de violence

Le Vif

Les violences qui ont fait 47 morts au cours du week-end en Egypte s’inscrivent dans un climat de crispation politique entre les Frères musulmans et l’opposition, alors que la situation économique ne cesse de se détériorer. Eclairage.

Après la mort de dizaines d’Egyptiens dans des affrontements ce week-end, le pays est une nouvelle fois en proie à l’instabilité, deux ans après le début de la révolution qui a renversé le régime de Hosni Moubarak. Le point sur cette nouvelle crise.

Quelle est l’origine des violences ?

Depuis vendredi, plusieurs événements ont coïncidé et accru la confusion. Tout d’abord, le second anniversaire de la révolution le 25, a entraîné son lot de manifestations contre les Frères musulmans, au pouvoir. En, particulier à Suez et à Ismaïliya, « deux villes, situées le long du canal de Suez qui ont une forte tradition de mobilisation; les tags contre les Frères, traités de menteurs, abondent sur les murs de ces villes », explique Sophie Pommier, professeur à Sciences-Po Paris et spécialiste de l’Egypte. Parallèlement, le lendemain, 21 supporteurs du club de football local Al-Masry, a été condamnés à mort dans le cadre du procès des violences qui avaient coûté la vie à 74 personnes à la fin d’un match de football, en février 2012 à Port-Saïd -également près du canal de Suez. Ce verdict a déclenché la colère des familles. « Elles ont le sentiment que le gouvernement a préféré faire payer Port-Saïd plutôt que le Caire: si les sentences avaient été plus légères, cela aurait déchainé la fureur des supporters du club des ‘Ultra’ d’Al-Ahali, dans la capitale », ajoute Sophie Pommier. Or les tensions au Caire autour de la place Tahrir sont très vives. Aux déçus de la révolution se sont en effet joint des groupuscules « qui sont plus proches des hooligans que des militants politiques », selon la spécialiste.

Durcissement de la rue…

Des groupes décrits comme ‘Blacks blocks’, ont fait leur apparition sur la place emblématique de la révolution, ressemblant aux groupes anarchistes nés à Seattle en 1999: tenues noires et visages masqués. Ces derniers s’attaquaient à la police et aux vitrines de certains commerces, mais pas aux autres manifestants. « Pas sûr que les militants masqués et vêtus de noir de la place Tahrir ont un quelconque bagage idéologique à l’instar des protestataires anticapitalistes américains ou européens », s’interroge Sophie Pommier: « Les ‘Ultras’, s’étaient, lors de la révolution, trouvés du bon côté de l’histoire en défendant les manifestants pro-démocratie- contre les forces de sécurité. Mais ils comptent sans doute parmi eux beaucoup de voyous », complète la spécialiste. Alors que la situation économique ne cesse de se dégrader, »ces jeunes sont sans repères, sans emploi et sans perspectives ».

« L’ambiance sur la place Tahrir aujourd’hui n’a pas grand chose à voir avec l’ambiance bon enfant des débuts de la révolution. Tandis que les agressions contre les femmes se multiplient, nombre de petits voyous se sont greffés aux opposants qui protestent contre la concentration des pouvoirs que les Frères musulmans tentent de mettre en place. Ainsi, lorsqu’a été annoncée la sentence de peine de mort contre les inculpés de Port-Saïd, les supporters cairotes massés sur la place ont explosé de joie.

… et des Frères musulmans

Ces manifestations et ces violences se produisent dans le contexte de la contestation contre le président Mohamed Morsi, qui s’était accordé, par un décret, le 22 novembre, des pouvoirs exceptionnels. Depuis l’adoption par référendum, en dépit des protestations de l’opposition, d’une constitution controversée en décembre, le chef de l’Etat a remanié son gouvernement en faisant la part belle aux membres la confrérie début janvier, nommé un tiers des sénateurs au Conseil de la choura -qui doit préparer la nouvelle loi électorale- et prévoit plusieurs nominations d’ambassadeurs issus des Frères musulmans. « Leur installation aux postes de commandement de plusieurs institutions qui semblait légitime jusqu’à un certain seuil, après leur succès aux législatives et à la présidentielle, prend un tour de plus en plus inquiétant », juge Sophie Pommier. Ce verrouillage entraîne des réactions enflammées de l’opposition dont les exigences sont peu réalistes, comme la dissolution du gouvernement ou la rédaction d’une nouvelle constitution, à moins de deux mois de nouvelles élections législatives.

Impasse économique

« Les Frères musulmans raidissent leur position et cherchent à accroître leur emprise politique sur le pays à mesure que la situation économique et sécuritaire se dégrade », souligne Sophie Pommier. Et ils se sentent effectivement acculés sur le plan économique: les autorités égyptiennes ont sollicité un prêt de 4,8 milliards de dollars au FMI, pour faire face à la détérioration de la situation, mais celui-ci réclame en échange des mesures de rigueur, comme la réduction des subventions à certains produits de première nécessité, des mesures qui seront forcément impopulaires. L’appel à manifester lancé pour vendredi par le Front du salut national, la principale coalition de l’opposition, risque de tendre encore un peu plus, cette crispation.

Par Catherine Gouëset,

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