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Egypte : la télévision d’Etat met le voile

L’après-Moubarak dans les médias se traduit aussi par l’arrivée de présentatrices voilées sur les chaînes de la télévision publique. Une première plutôt discrète qui ne transforme pas le paysage audiovisuel du pays.

Les cheveux cachés sous un voile crème, Fatma Nabil a créé la surprise, dimanche 2 septembre, en présentant le journal télévisé de la mi-journée sur la première chaîne publique égyptienne. C’est la première fois qu’une journaliste voilée apparaît dans un programme de la télévision d’Etat. Un développement rendu possible par l’intervention du nouveau ministre de l’Information du gouvernement formé par les Frères Musulmans, Salah Abdel Maqsoud, qui a déclaré quelques jours plus tôt que « la télévision égytienne accueille[rait] tous ses fils et filles et [que] personne ne sera[it] exclu. Parallèlement, a-t-il ajouté, le voile est très répandu, 80% des femmes le portent » . Une autorisation à demi-mot, voire un encouragement, qui fait mouche, puisque selon le ministre d’autres femmes voilées devraient apparaître à l’écran ces prochaines semaines, sur plusieurs chaînes publiques, aux commandes de l’information ou de la météo.

Des femmes voilées déjà présentes sur les autres chaînes satellitaires arabes

Le changement n’est pourtant pas vraiment spectaculaire pour le téléspectateur égyptien, la plupart des autres chaînes satellitaires arabes et privées comptant déjà des femmes voilées parmi leurs présentatrices de journaux. « Personne n’est trop étonné, précise à L’Express Dora Abdel Razik, journaliste à Nile TV, une des chaînes publiques. Etant donné qu’on a un régime islamiste au pouvoir et que de nombreuses journalistes en avaient fait la demande, c’est dans la logique des choses. Le seul truc, c’est qu’ il y a de plus en plus de demandes depuis hier ».

L’abrogation de l’interdiction marque une rupture et ouvre la porte des studios à des journalistes jusqu’alors relégués derrière la caméra. « Je ressentais une certaine injustice avant et j’étais donc très heureuse de pouvoir présenter le bulletin d’information », a déclaré Fatma Nabil au quotidien égyptien Al-Masry Al-Youm. La journaliste avait déjà postulé pour le poste immédiatement après la révolution, mais avait été éconduite à cause de son voile. Elle n’en est pourtant pas à sa première apparition puisqu’elle a effectué un bref passage sur la chaîne privée Al-Sa’a en 2007 où elle présentait les informations économiques.

Ce changement annonce-t-il une évolution des codes vestimentaires, jusqu’alors très stricts, sur la télévision publique? Aujourd’hui, barbe, moustache et bouc, même, sont proscrits pour les présentateurs. Et si une certaine liberté est concédée dans le style vestimentaire, en sera-t-il de même de la ligne éditoriale? « Sous Moubarak, il y avait des directives, on parlait toujours du président en premier, explique Dora. Certains sujets étaient tabous. Juste après la révolution, il y a eu une très grande ouverture, mais au fur et à mesure, on a reçu certaines instructions. C’est jamais très clair, mais il ne faut pas trop « casser » les Frères Musulmans; si un invité dérape, on essaie de le recadrer: il y a certaines lignes rouges à ne pas dépasser ». Après des années de censure sous l’ancien rais, la télévision d’Etat s’adapte à la nouvelle donne du pouvoir. Une transformation qui suit les aspirations de la société égyptienne contemporaine, mais qui peine à s’affranchir de l’emprise gouvernementale sur l’information.

Par Clotilde Mraffko, L’Express

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