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Egypte : après Moubarak, les Frères musulmans ?

La montée en puissance des Frères musulmans, qui ont tardé à rejoindre le soulèvement populaire, est-elle inéluctable ? L’avis de Patrick Haenni, spécialiste de l’islamisme égyptien.

Ils ont franchi le Rubicon. Très discrets au début du mouvement de révolte contre le régime du président Hosni Moubarak, les Ikhwan al-muslimin (Frères musulmans) ont fini par descendre eux aussi dans la rue. Et leur direction s’est décidée à appeler à des manifestations massives partout en Egypte jusqu’à la chute du régime.

Comment expliquez-vous l’attentisme des Frères musulmans quand la tempête s’est mise à souffler sur les rives du Nil ?

PATRICK HAENNI (1) : La confrérie a reconnu assez honnêtement que cette révolution menée par la jeunesse issue des classes moyennes n’est pas la leur. De plus, protester, c’est s’exposer, surtout pour les Frères. En 2008 déjà, lors des grands mouvements sociaux et des révoltes de la faim, ils avaient adopté une politique de profil bas face au pouvoir. Ils se méfient des manifestations de masse, dont ils paient souvent le prix, y compris au sens propre : quand s’abat la répression policière, il leur faut nourrir les familles des militants emprisonnés.

Pourquoi ont-ils finalement décidé d’accompagner le soulèvement populaire ?

Les Frères musulmans ont pris le risque d’entrer dans une logique de quitte ou double, de non retour, de fuite en avant pour en finir avec le régime. Car ils savent que si Moubarak parvient à reprendre le dessus, ils en subiront de terribles conséquences.

« C’est moi ou les barbus !« , n’a cessé de répliquer le président égyptien à ses interlocuteurs occidentaux. Les islamistes pourraient-ils profiter de la situation actuelle, comme le craignent les dirigeants israéliens ?

Force d’opposition la plus influente et la plus disciplinée, les Frères musulmans pourraient certes prendre le pouvoir à l’occasion d’un processus électoral démocratique. Mais considérer pour autant la confrérie comme une menace, c’est se tromper de cible. On ne va pas maintenir un pouvoir dictatorial sous prétexte que tous les Egyptiens ne sont pas convertis à la démocratie et que l’islam n’a pas encore vécu son Vatican II ! C’est le maintien de cette dictature qui renforce l’aile dure et conservatrice des Frères.

Entretien : Olivier Rogeau

(1) Patrick Haenni est sociologue. Chercheur de l’institut suisse Religioscope, il a travaillé pendant une dizaine d’années au Caire.

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