Abdul Sattar Edhi © AFP

Edhi, le petit père des pauvres du Pakistan

Le Vif

Il a créé à la sueur de son front un empire caritatif devenu la plus vaste organisation civile du Pakistan, mais à 88 ans, Abdul Sattar Edhi continue à mendier et à dormir dans un réduit derrière son bureau.

« M. Edhi est assis là, il attend vos donations », crachote le haut-parleur d’une ambulance Edhi garée dans un quartier aisé de Karachi, mégalopole portuaire aux inégalités criantes.

Des passants déposent un don ou présentent leurs respects au vieil homme frêle, dont la barbe blanche et la toque d’astrakan élimée sont connues dans tout le pays et au-delà.

Plusieurs fois proposé pour le prix Nobel de la paix, il figure à nouveau sur la liste cette année, et s’il n’est pas favori, une pétition appelant à lui décerner le Nobel a rassemblé plus de 130.000 signatures ces derniers mois.

C’est dans les ruelles poisseuses du coeur historique de Karachi que le jeune colporteur idéaliste a ouvert en 1951 son premier dispensaire, après avoir claqué la porte d’organisations caritatives qu’il jugeait trop communautaristes.

« Le service social était ma vocation, il fallait que je le libère » des riches donateurs préférant « faire la charité » plutôt que de créer des « services sociaux de masse », explique-t-il dans son autobiographie, « Un miroir pour les aveugles ».

– Etat-providence –

Abdul Sattar Edhi, né en Inde britannique dans une famille de petits commerçants musulmans, est arrivé au Pakistan après la création de celui-ci en 1947. Il « pensait trouver dans cette nouvelle nation musulmane un Etat-providence, mais c’était tout sauf cela », explique son fils cadet, Faisal, 39 ans.

Il en fait la douloureuse et déterminante expérience auprès de sa mère, malade psychique meurtrie de se retrouver à la charge de sa famille, faute d’institution pour l’accueillir.

Animé par une quête spirituelle de justice, Edhi s’attèle alors à combler la faillite de l’Etat dans le domaine social, créant au fil des ans, sur ses deniers personnels, maternités, morgues, orphelinats, asiles, maisons de retraites.

Vitrine de sa fondation, les 1.500 ambulances frappées du numéro d’urgence 115 se déploient avec une étonnante efficacité sur les lieux d’attentats, fréquents au Pakistan.

Ses idéaux d' »humanitarisme » transcendant les clivages religieux ou ethniques, et d' »entraide » pour s’affranchir de l’emprise des chefs féodaux, lui ont valu de féroces campagnes de dénigrement de groupes communautaristes.

Il y a répondu par un travail de terrain opiniâtre et un ascétisme ne donnant aucune prise aux critiques.

Il se contente de deux tenues portées en alternance et dort dans une pièce aveugle carrelée de blanc à l’arrière de son bureau, sommairement équipée d’un lit, d’un évier et d’un réchaud.

« Il n’a jamais créé de foyer pour ses propres enfants », peste tendrement son épouse, Bilquis, qui gère les foyers pour femmes et enfants.

C’est ainsi qu’il a conquis l’estime du petit peuple, au point que groupes armés et bandits de grands chemins étaient connus pour épargner les ambulances Edhi.

La Fondation a néanmoins été cambriolée en 2014, ce qui a déclenché un tollé national.

Son budget annuel de 1,5 milliard de roupies (20 millions d’euros), provenant principalement de dons des classes moyennes et ouvrières, continue de croître selon Faisal, en dépit des critiques de groupes intégristes qui tentent de lui faire concurrence.

– Maman Bilquis –

Enfants ou personnes âgées abandonnés, femmes battues, handicapés, drogués, Edhi héberge aujourd’hui 5.700 personnes dans 17 foyers et emploie plus de 3.000 volontaires rémunérés, dont une partie d’anciens hôtes de la fondation.

« Le projet dont nous sommes le plus fiers, ce sont les berceaux », dit Bilquis Edhi.

Désespéré de ramasser des cadavres de nourrissons lors de ses tournées, Edhi a placé devant chacun de ses centres un grand berceau de ferraille, avec l’inscription « Ne tuez pas un enfant innocent, confiez-le nous ».

Cela lui a valu de nouvelles attaques d’islamistes extrémistes, qui lui ont reproché de recueillir ainsi les fruits de relations sexuelles hors mariage, dans un pays où elles sont illicites.

Plusieurs milliers d’enfants, en vaste majorité des filles, vivent dans les foyers Edhi et autant ont été confiés à l’adoption ces quatre dernières décennies, assure Bilquis, fière d’exhiber les photos de certaines pupilles aujourd’hui diplômées de prestigieuses universités.

Dans les orphelinats spartiates mais propres trônent des portraits austères d’Edhi et Bilquis, providentiels parents de substitution.

S’il n’y avait pas eu Edhi, « je ne crois pas qu’il y aurait eu de vie pour moi », explique Seher, 16 ans, qui a grandi dans l’immeuble décrépit où siège la Fondation. Elle y suit un enseignement rudimentaire et n’en sortira qu’après son mariage, arrangé par Bilquis, qu’elle appelle parfois « maman ».

« Bilquis et Papa Edhi sont là 24 heures sur 24 pour nous », sourit la jeune fille, qui s’occupe des plus petits, dont la fille d’un voleur emprisonné pour le cambriolage de la Fondation.

Désormais incapable de gérer son royaume, Edhi l’a confié il y a quelques semaines à son fils Faisal. « J’ai beaucoup travaillé. Je suis satisfait de ma vie », souffle le patriarche, très affaibli.

« C’était mon héros », explique Faisal. Reprendre les rênes, « c’est une grande responsabilité », soupire-t-il, « nous avons encore beaucoup à faire dans cette société féodale et injuste ».

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