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Écriture inclusive : Requiem pour un « il »

Rosanne Mathot
Rosanne Mathot Journaliste

Péril mortel, saccage de la langue, caprice féministe, écriture illisible : les arguments des pourfendeurs de l’écriture inclusive sont légion. Au coeur du débat, ce postulat : en prônant que « le masculin l’emporte sur le féminin », le français est sexiste et doit donc être réformé. Une réforme de plus pour une orthographe qui ne sait plus très bien sur quel pied danser.

En 1964, un drôle de bouquin remporte le prix Médicis : L’Opoponax, de Monique Wittig. C’est la première fois qu’on utilise  » on  » comme un neutre, en français. Une audace littéraire qui sera adoubée par Marguerite Duras. Depuis, aucun pronom asexué ne s’est durablement installé dans notre langue, malgré de nombreuses tentatives. On a ainsi aperçu ille, ou encore ol, ul, yel, iel ou celleux ( » celles  » et  » ceux « ).

N’en déplaise aux aficionados de l’Académie, qui hurlent que le masculin est un neutre : pour les linguistes, Alain Rey en tête, le neutre n’existe pas en français. Même avis pour Michel Francard, qui défend l’écriture inclusive puisqu' » il est évident que l’écriture et le discours influent sur notre façon de voir et d’écrire le monde « .

L’idée centrale de l’écriture inclusive est qu’il faut sortir les femmes de l’invisibilité dans laquelle les a plongées l’Académie française depuis le xviie siècle en bannissant le féminin des professions  » supérieures  » et lettrées. Philosophesse, professeuse et présidente ont disparu, au profit du masculin, alors que les professions  » subalternes  » ont, elles, gardé leur féminin (boulangère, cuisinière…). Pourquoi ?  » Le masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle « , écrit en 1767, le grammairien Nicolas Beauzée, académicien dès 1772. Cent ans plus tôt, en 1676, Dominique Bouhours, prêtre jésuite et grammairien lui aussi, affirmait que  » lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte « .

Dans l’écriture inclusive, on accorde les mots selon la règle de proximité ( » le garçon et la fille sont belles « ), on privilégie les mots neutres, dits épicènes :  » les droits de l’homme  » deviennent  » les droits humains « . Mais, ce qui fait le plus débat est le  » point médian  » (les professeur.e.s) qui rendrait l’écriture difficile à lire pour les enfants, les mal-voyant.e.s, les dyslexiques. Ces arguments, la linguiste Laure Rosier-Van Ooteghem leur oppose  » l’habitude « .

Un débat quarantenaire

Lorsque les femmes deviennent plus nombreuses dans la sphère publique, dans les années 1980, une fracture s’installe entre la France et les autres francophonies (Suisse romande, Belgique francophone, Québec, Afrique), moins tributaires de l’Académie française. En Belgique, dès 1993, un décret féminise les noms de métiers.

En octobre 2017, un premier manuel scolaire en écriture inclusive est publié en France. L’Académie bondit et parle de  » péril mortel « . Le philosophe Raphaël Enthoven dénonce  » une agression de la syntaxe par l’égalitarisme « . Dans la foulée, le Premier ministre, Edouard Philippe, la bannit des textes officiels.

Pendant ce temps-là, en Suède, on utilise, depuis 2012, un pronom neutre ( » hen « ) qui permet de parler d’une personne, sans avoir à préciser son genre. Aussi, à l’école, garçons, filles ou transgenres sont tous désignés par des mots non sexués ( » enfants  » ou  » copains « ). La langue suédoise se porte bien, merci pour elle. Elle n’a pas explosé. Elle s’est contentée d’accompagner les évolutions sociales.

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