DSK: une nouvelle affaire Polanski?

Lors de l’audience de Dominique Strauss-Kahn à New York, les procureurs ont fait référence à l’affaire Polanski dans leur argumentaire. Un parallèle repris par certains journalistes et hommes politiques.

Les deux avocats de Dominique Strauss-Kahn, auditionné lundi à New York pour agression sexuelle, tentative de viol et séquestration, ont demandé la libération de « l’homme le plus facilement identifiable de la planète » contre une caution d’un million de dollars. Réaction de la juge Melissa Jackson: « Ma seule crainte, c’est qu’il fuie. » Les procureurs ont ensuite embrayé sur l’affaire Roman Polanski, cinéaste franco-polonais qui s’était enfui alors qu’il était poursuivi pour viol. La juge les a stoppés dans leur démonstration, pas convaincue par le rapprochement. Pourtant, sur la Toile et dans la sphère politique, la comparaison est faite et suscite les commentaires.

L’avocat du cinéaste, Georges Kiejman, ne dit pas autre chose. La première affaire joue, selon lui, « un rôle inconscient » dans celle qui implique le directeur du FMI, « bien que les situations procédurales soient très différentes ». Pour que DSK puisse sortir de prison, il a demandé à la France à garantir que le socialiste ne s’enfuira pas s’il est remis en liberté.

« S’il rentre à Paris il ne reviendra jamais »
Pourquoi un telle crainte? La réponse rélève peut-être du premier parallèle à faire entre l’affaire Polanski et celle impliquant DSK. Philippe Coste, correspondant de L’Express à New York, a interrogé une avocate, présente dans le tribunal lors de l’audience. Celle-ci témoigne: « Le problème, c’est la France. Votre pays n’extrade pas ses ressortissants. Si DSK trouve le moyen de rentrer à Paris, il ne reviendra jamais. Regardez Polanski… »

En effet, dans sa fuite des Etats-Unis en février 1978, Roman Polanski s’était réfugié à Paris. La justice américaine a alors demandé son extradition. Mais sa binationalité franco-polonaise, a protégé le cinéaste. Car, comme le rappelle le journal britannique The Guardian, la France ne permet pas à ses propres citoyens d’être extradés aux Etats-Unis. Ainsi, si DSK, libre et fort de nombreux contacts dans l’Hexagone, pouvait rentrer en France, les Etats-Unis n’auraient aucune chance de pouvoir le juger. Or la justice américaine ne veut pas revivre l’humiliation de l’affaire Polanski.

Cet argumentaire est aussi développé par Philip Gourevitch, blogueur du New Yorker. Selon lui, Washington en veut toujours à Paris d’avoir « accueilli » et « défendu » Roman Polanski, alors qu’il fuyait les Etats-Unis après avoir plaidé coupable [En avril 1977, le cinéaste avait plaidé non coupable pour ensuite renverser sa stratégie quatre mois plus tard, ndlr.]

« C’est à Paris que la campagne pour défendre sa fuite a été menée avec le plus de vigueur l’an dernier, note le journaliste américain. Un ami parisien me disait [à l’époque]: observe l’anti-américanisme dont font preuve les Français. » Ainsi, comme dans l’affaire Polanski, la France, si elle avait dû traiter le dossier, l’aurait « atténué », reprenant -paradoxe- les mots de Marine Le Pen, secrétaire du Front national qu’il venait d’interviewer. « La pathologie de DSK est évidente. Mais depuis des années, tout est dissimulé par tout un chacun parce que le système est comme ça en France », avait affirmé Marine Le Pen.

« Les Etats-Unis ne plaisantent pas avec le sexe »

Le sexe -et le viol – est aussi au coeur des deux affaires. « Aux Etats-Unis, ils ne plaisantent pas avec les histoires de sexe, c’est très violent », soulignait une source gouvernementale française au moment de la comparution du président du FMI. « C’est comme si Dominique Strauss-Kahn était un criminel de guerre, ils ne vont pas le lâcher », ajoutait-on.

En effet, là se trouve peut-être le deuxième parallèle entre les deux dossiers. Dans le cas Polanski, la justice américaine s’est efforcée de juger le cinéaste pendant près de 35 ans, réclamant son extradition de la Suisse. Une décision soutenue, notamment, par la presse américaine. Le journal Le Monde rappelle que quasiment tous les journaux outre-Atlantique, New York Times en tête, ainsi que des personnalités comme le gouverneur de Californie, Arnold Schwarzenegger, avaient, eux, estimé que Polanski devait être extradé et jugé après son arrestation à Zurich en septembre 2009, « rappelant les faits dans leur crudité, et appelé à l’égalité devant la justice quels que soient la notoriété ou le talent. »

Bernard Tapie faisait lui aussi un parallèle entre les deux affaires, au micro de LCI lundi. Dans l’affaire DSK, « on pense à Polanski. Avec une victime qui ne souhaitait pas de condamnation [la victime présumée de DSK n’a toujours pas porté plainte, ndlr], les Etats-Unis s’acharnaient quand même à vouloir le rapatrier […]. C’est d’une tristesse terrible. »

A l’époque, une telle ténacité était due à l’opposition de la justice helvétique à exécuter les recommandations des Etats-Unis. Selon Le Monde, la Suisse avait deux raisons de ne pas se plier à ces directives. L’une portait sur le refus de la justice californienne de communiquer un procès verbal attestant que les 42 jours passés à la prison de Chino (pour une évaluation psychiatrique) couvraient la totalité de la peine.

Le deuxième argument de la justice suisse, note Le Monde, était que Polanski s’est rendu « en toute confiance » en Suisse, où il résidait régulièrement depuis l’achat de son chalet, en 2006. « L’extrader dans ce contexte, c’était contrevenir au droit public national et international. » D’autres facteurs ont pu aussi jouer dans la décision suisse. Le fait notamment que la victime, Samantha Geimer, avait demandé en octobre 2009 l’abandon des poursuites [qui n’avait pas suffi à entamer la détermination de la justice américaine, ndlr], concluent Michel Guerrin et Claudine Mulard du Monde.

Le « fils favori » contre la « working woman »
Sur son blog du New Yorker, Philip Gourevitch conclut par « le malaise de la classe politique française ». Selon lui, le Parti socialiste s’occupe plus de mettre un terme à la « destruction » de son « fils favori » Dominique Strauss-Kahn, que de soutenir la victime, une « working woman » de 32 ans. Tout comme en 1978, la France attachait plus d’importance à l’accusé Polanski qu’à la victime Samantha Geimer.

Justifiée ou pas, la comparaison entre les deux affaires pourrait, au regard du ressentiment de la justice américaine, avoir des répercussions dans la suite des démêlés judiciaires de DSK.

Pauline Tissot, Lexpress.fr Styles

L’affaire Polanski Roman Polanski a été interpellé en Suisse en septembre 2009 sur la base d’un mandat d’arrêt américain datant de 1978 pour des relations sexuelles avec une mineure de 13 ans en 1977 à Los Angeles. Après avoir purgé une peine de 42 jours dans une prison californienne, le cinéaste avait été remis en liberté dans l’attente de son procès et avait fui les États-Unis pour échapper à une plus lourde condamnation.

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