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DSK : 12 h 30 au Sofitel de New York.

Les derniers éléments rassemblés par l’enquête permettent de reconstituer le scénario du drame de la suite 2806. Récit détaillé des quelques heures où s’est joué le sort de DSK.

C’est le coup de feu de la mi-journée, au Sofitel de Times Square, en plein coeur de New York. Comme chaque jour, le personnel de ménage investit fébrilement les chambres désertées par les clients à l’heure du checkout. Un bataillon de petites mains lustre, brique, époussette. Il est près de 12 h 30, ce samedi 14 mai.

Jessica, la responsable des femmes de chambre, est la première à donner l’alerte. Elle somme le service de sécurité de se rendre d’urgence au 28e étage. Une employée y a été découverte par l’une de ses collègues, prostrée, près d’un cagibi. « Nafi », jeune Guinéenne de 32 ans, balbutie qu’elle vient d’être violentée par l’occupant de la suite 2806.

Il se serait jeté sur elle, avant de claquer la porte…

Vers midi, raconte-t-elle, elle s’apprête à nettoyer la suite. La porte est restée entrouverte. A l’intérieur, un employé masculin du room service débarrasse le plateau du petit-déjeuner. En partant, l’homme indique que la pièce est vide. Nafi entre alors avec son chariot, laissant, comme il est d’usage, la porte ouverte.

Soudain, toujours selon son témoignage, un homme nu sort de la salle de bains. Stupéfaite, elle se serait excusée avant de se diriger vers la porte. Le client l’aurait alors rattrapée. Il se serait jeté sur elle, avant de claquer la porte et de fermer le loquet. L’agresseur lui aurait caressé la poitrine et le sexe. Il aurait poursuivi, en essayant de lui arracher son collant et de la violer. Malgré sa résistance, l’homme lui aurait imposé, par deux fois, une fellation, dans la chambre, puis dans la salle de bains. La jeune femme serait finalement parvenue à s’enfuir et à se cacher à l’étageà

Ses collègues qui lui portent secours décrivent une femme dans un grand désarroi, terrifiée à l’idée de perdre son travail. Nafi refuse d’être envoyée à l’hôpital, mais insiste pour déposer plainte. Selon le site The Daily Beast, l’un des responsables de la sécurité souligne que la victime présumée « apparaissait traumatisée, au point de se rendre aux toilettes pour essayer de vomir et [elle] a craché plusieurs fois sur les murs et le sol de la suite ».

Le service de sécurité identifie rapidement le client de la chambre 2806. Il n’est autre queà le patron français du Fonds monétaire international. Dominique Strauss-Kahn est descendu la veille au Sofitel de Times Square pour un séjour privé. Il devait occuper une chambre classique, à près de 500 dollars, mais la direction de l’hôtel, appartenant au groupe français Accor, a décidé de le surclasser et de lui allouer la suite 2806, son marbre vert et ses boiseries acajou.

Les conditions du départ de DSK, objet d’une controverse

La sécurité de l’hôtel n’appelle le 911, le numéro d’urgence de la police, qu’une fois Nafi calmée, vers 13 h 30. La police de New York débarque dix minutes plus tard. Alors que la jeune femme est conduite aux urgences médico-judiciaires pour subir des examens, une course de vitesse s’engage afin de retrouver le célèbre client.

Les ordinateurs de la réception indiquent que Dominique Strauss-Kahn a réglé sa note à 12 h 28, par carte bancaire. A-t-il cherché à fuir, comme le dit la police ? Les conditions du départ de DSK sont encore l’objet d’une vive controverse. L’adjoint au procureur, McConnell, s’appuyant sur les images de vidéosurveillance du lobby, décrit un « départ inhabituellement rapide », par la 44e Rue West. En revanche, une cliente du Sofitel, interrogée anonymement par France 2, affirme avoir discuté dans l’ascenseur avec un homme serein. A 12 h 45, un quart d’heure après avoir quitté le Sofitel, Dominique Strauss-Kahn aurait déjeuné avec Camille, sa fille, étudiante à New York. Un repas sur le pouce, puisque le directeur du FMI doit prendre un avion. Un siège a été réservé, depuis plusieurs jours, sur le vol AF 023 de 16 h 40, en direction de Paris.

Peu après 15 heures, DSK, en route pour l’aéroport John Fitzgerald Kennedy, rappelle le Sofitel. Ce qui cadre mal avec l’attitude d’un fugitif, font valoir ses proches. Le directeur du FMI indique à la réception avoir oublié l’un de ses téléphones portables dans la chambre. Les policiers tendent un piège au suspect. Bien qu’aucun téléphone, ni effet personnel, n’ait été retrouvé dans la chambre, les responsables du Sofitel lui proposent de lui rapporter son mobile. Dominique Strauss-Kahn révèle alors l’endroit où le retrouver : l’aéroport JFK. La police de l’air l’arrête alors qu’il est déjà installé à son siège, en classe affaires. Il est 16 h 42.

La deuxième phase des investigations commence. Les enquêteurs du Special Victims Squad veulent savoir si les deux protagonistes se connaissaient avant les faits, dans l’hypothèse d’une relation consentie. Mais selon la direction du groupe Accor, Nafi n’était pas censée nettoyer la suite occupée par le patron du FMI ce jour-là : elle a remplacé au pied levé l’une de ses collègues. « Depuis trois ans, elle donne entière satisfaction, tant dans son travail que dans son comportement », insiste le directeur de l’hôtel, Jorge Tito.

Selon la police, une fois revenue de l’hôpital, Nafi décrit précisément l’agression, notamment l’endroit où elle aurait craché après la fellation forcée. Les enquêteurs découpent un carré de moquette et envoient le prélèvement au laboratoire, recherchant des traces génétiques. Le 22 mai, le site d’informations Atlantico.fr assure même que des « traces de sperme de Dominique Strauss-Kahn auraient été retrouvées sur les vêtements de la femme de chambre ».

Placé en garde à vue, DSK, reconnu par Nafi, doit répondre d’une demi-douzaine de charges, que le détective Steven Lane détaille dans son rapport. Pour sa défense, le suspect accepte de subir des prélèvements ADN : les agents recherchent des traces sous les ongles, pouvant témoigner d’une lutte.

Le patron du FMI est autorisé à téléphoner à son épouse, Anne Sinclair, à Paris. Entre-temps l’information a filtré : un militant UMP vient de relayer l’information via le réseau social Twitter, à 22 h 59, heure de Paris. Un scoop qui proviendrait d’un stagiaire français employé de l’hôtel. Au même moment, le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, Christian Frémont, alerté par la direction d’Accor, avertit le chef de l’Etat.

Dans un commissariat de Harlem, Dominique Strauss-Kahn choisit de garder le silence, comme la loi américaine le lui autorise. Il devrait plaider non coupable au tribunal le 6 juin prochain. La justice américaine devra éclaircir le mystère de la chambre 2806, où se sont joués l’honneur d’une femme, le destin d’un homme et – peut-être – le sort de l’élection présidentielle en France.

ERIC PELLETIER ET JEAN-MARIE PONTAUT

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