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Drones: Human Rights Watch dénonce les « permis de tuer » des États-Unis

Les États-Unis utilisent des drones pour des assassinats ciblés de terroristes. Une pratique dénoncée par les associations de Droits de l’Homme, qui y voient une violation du droit international. Les explications de Reed Brody, avocat de Human Right Watch.

Le président américain Barack Obama a personnellement supervisé une procédure destinée à déterminer quels membres présumés d’Al-Qaïda devaient être placés sur une liste de personnes à abattre, notamment au Yémen et en Somalie, selon le New York Times. Ces révélations interviennent deux mois après que le ministre de la Justice Eric Holder a justifié l’utilisation de drones pour assassiner, « de manière appropriée et légale », dans le cadre de la guerre contre le terrorisme des responsables d’Al-Qaïda ou d’une organisation affiliée. Ces pratiques provoquent un sérieux malaise parmi les défenseurs des Droits de l’Homme. Le rapporteur de l’ONU sur les exécutions, extra-judiciaires a ainsi fait part, mardi, de son « inquiétude » concernant ces exécutions délibérées par les États-Unis. LeVif.be a interrogé Reed Brody, avocat, porte-parole d’Human Rights Watch à Bruxelles.

Que pensez-vous des révélations du New York Times sur l’usage des drones par la Maison Blanche?

Une précision d’abord: ce ne sont pas les drones en tant que tels qui nous préoccupent, mais la pratique des assassinats ciblés au moyen de ces drones. Ce sont des instruments potentiellement efficaces qui peuvent minimiser des pertes civiles quand ils sont utilisés correctement. HRW dénonce le manque de transparence des États-Unis sur ces opérations. Il faudrait avoir plus d’éléments pour déterminer leur légalité, mais le gouvernement américain communique très peu à ce sujet. Ces opérations étant dirigées par la CIA, elles sont entourées du plus grand secret. HRW demande d’ailleurs que la gestion des opérations menées par les drones passe sous la tutelle des militaires et non des services secrets.

Comment définissez-vous les assassinats ciblés?

Il s’agit de l’utilisation de la force létale dirigée contre un individu préalablement sélectionné. Ces assassinats ciblés peuvent être exécutés au moyen de drones, mais aussi de missiles, ou d’opérations spéciales.

En quoi contreviennent-ils au droit international?

Si la personne ciblée ne participe pas à un conflit armé avec les États-Unis, on n’est plus dans le cadre du droit de la guerre, mais dans une opération de type policier. L’utilisation de la force meurtrière n’est donc pas légalement admissible, sauf lorsqu’elle est nécessaire pour sauver des vies humaines, et seulement si on n’a pas d’autre possibilité de capturer ou de mettre hors d’état de nuire la personne jugée dangereuse. Une personne ne peut pas être ciblée par la force létale uniquement en raison d’un comportement illégal passé. On doit la capturer et la juger.
Une autre des inquiétudes de HRW concerne l’entourage des personnes ciblées. Selon les révélations du New York Times, tous les hommes en âge d’effectuer un service militaire qui entourent la personne ciblée sont considérés comme des combattants. Si c’est avéré, il s’agit là d’une violation du droit international qui impose une distinction entre cibles militaires et non militaires.

Et dans le cadre du droit de la guerre ?

Même dans le cadre du droit de la guerre, on ne peut pas faire n’importe quoi. En temps de guerre, il n’est pas illégitime de tuer un soldat du camp adverse, mais il y a deux principes fondamentaux: la distinction militaires/populations civiles évoquée plus haut, et le principe de proportionnalité: les dommages aux personnes et biens civils ne doivent pas être disproportionnés par rapport à l’avantage militaire attendu. Or l’usage de drones pose des questions sur ces deux principes.

L’administration Obama se serait dotée d’un « permis de tuer » ?

L’administration Obama semble considérer que quand elle commet un assassinat ciblé dans quelque partie du globe que ce soit, cela induit le fait que les États-Unis sont en état de guerre. D’une certaine façon, on peut dire que pour les autorités américaines, la planète entière est devenue un champ de bataille. Que diraient les Américains si les Russes ou les Chinois exécutaient des individus qu’ils considèrent comme leurs ennemis dans les rues de Washington?

Vous semblez déçu par le bilan de Barack Obama en matière de respect des droits humains…

L’administration Obama a remédié à certaines des défaillances de l’époque de George Bush, mais il subsiste de nombreuses entorses au droit. J’ai par exemple assisté en avril dernier à la comparution d’un prisonnier de Guantanamo devant une commission militaire. Il avait été maintenu prisonnier en Europe dans le cadre du programme des détentions secrètes de la CIA et avait été sauvagement torturé. Ce détenu encourait la peine de mort devant une commission militaire dénuée d’indépendance.

Propos recueillis par Catherine Gouëset, L’Express

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