Philippe Lamberts

Droits sociaux : de quel droit les a-t-on oubliés ?

Philippe Lamberts Co-Président du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen

Dix ans se sont écoulés depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, cinq ans depuis que Jean-Claude Juncker promettait un « triple-A social » pour l’Union européenne et la nouvelle Commission von der Leyen manque à son tour d’ambition en matière de droits sociaux : le volet social est-il voué à rester le parent pauvre de l’intégration européenne ?

Un déséquilibre historique

Au sein de l’Union européenne, les libertés économiques sont garanties en droit tandis que les droits sociaux restent encore trop souvent l’objet de déclarations d’intention. Même le très célébré socle européen de droits sociaux, qui offre pourtant une base sérieuse pour de nouvelles initiatives législatives européennes dans le domaine social, n’est à ce stade qu’un catalogue de principes non contraignant. Tout ceci ne fait que confirmer le déséquilibre historique entre les dimensions économique et sociale du projet européen.

Pourtant, en 2010 l’UE s’était fixé pour la première fois de son histoire un objectif chiffré et ambitieux : réduire le nombre de personnes touchées ou menacées par la pauvreté et l’exclusion sociale d’au moins 20 millions à l’horizon 2020. Force est de constater que l’objectif est très loin d’être atteint, les données actuelles ne permettant d’entrevoir qu’une amélioration mineure par rapport au contexte pré-crise de 2008.

Une situation non viable

Aujourd’hui, plus d’un cinquième de la population européenne reste en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale, les inégalités de revenus sont en augmentation, et la part d’emplois précaires grandi dangereusement. Le tout dans un contexte marqué par d’importantes disparités sociales entre États.

Si cette situation est inacceptable sur le plan social, elle n’est pas non plus viable pour des raisons économiques et politiques. En effet, comme l’a révélé la crise, les déséquilibres sociaux entre pays européens accroissent la vulnérabilité de l’ensemble de l’Union face aux chocs économiques et donne du grain à moudre aux partis d’extrême droite, toujours prompts à désigner un bouc-émissaire comme source de tous les maux, qu’il s’agisse de l’Europe ou des migrants.

Vers une protection par les droits

Face à ce constat, l’UE doit se donner les moyens de s’attaquer aux inégalités sociales et assurer à chacune et chacun un filet de sécurité suffisant. Une perspective d’autant plus nécessaire si l’on veut éviter que la réponse aux dérèglements climatiques pèse une fois de plus sur les plus vulnérables d’entre nous. Le « Green Deal » de la Présidente von der Leyen n’a aucune chance d’obtenir le soutien des citoyens européens s’il ne s’accompagne pas de mesures sociales et redistributives ambitieuses. Le cas des « gilets jaunes » nous l’a encore très justement rappelé: il faut concilier les deux revendications « fin du monde » et « fin du mois ».

La bonne nouvelle c’est que les solutions ne manquent pas. Au-delà des propositions bien connues en matière de politique fiscale et du besoin de renforcer le rôle du dialogue social dans l’élaboration des politiques européennes, l’ambition pour plus de justice sociale doit s’attacher à assurer l’effectivité des droits sociaux, tout simplement.

Citons par exemple les propositions visant à garantir le droit à un niveau de vie décent en instaurant tout d’abord un salaire minimum européen pour ceux et celles qui travaillent. Ensuite, il faut établir un régime européen de réassurance des allocations de chômage permettant, via un fonds européen, de soutenir les systèmes de solidarité nationaux en période de crise et maintenir ainsi une vie digne pour les personnes ayant perdu leur emploi. Pour celles et ceux qui ont épuisé leurs droits aux allocations de chômage et qui bénéficient d’une aide sociale de derniers recours, il faut assurer au niveau européen que revenu minimum garanti soit établi à un montant suffisant, le niveau actuel de ce dispositif étant toujours fixé sous le seuil de pauvreté dans la grande majorité des pays de l’Union. Enfin, l’idée d’un revenu universel européen pourrait également offrir une nouvelle voie pour l’Europe sociale : en assurant inconditionnellement à tous les européens un socle minimal auquel s’ajouteraient les revenus du travail ou les prestations sociales nationales, il permettrait de soutenir simultanément la sécurité économique des individus, les systèmes de solidarité nationaux et l’image de l’Europe auprès des citoyens.

S’attaquer au déficit social

L’UE doit impérativement résorber le déficit social qui la caractérise. Il en va de la crédibilité même du projet européen. Le nouveau Commissaire à l’emploi et aux droits sociaux Nicolas Schmitt, dont les premières déclarations restent frileuses, devra donc démontrer qu’il a la volonté de faire bouger les lignes. Dix ans après que la Charte des droits fondamentaux de l’UE a été intégrée aux traités européens, il est plus que temps de s’assurer que les droits sociaux ne soient plus oubliés.

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