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Dossiers Gbagbo, Kony… La Cour pénale internationale à la peine

Le Vif

Régie par le statut de Rome adopté voilà quinze ans, la CPI suscite de multiples griefs. Certains justifiés, d’autres moins: les criminels de masse doivent souvent leur impunité à l’apathie ou aux calcul des Etats.

Les uns voient en elle l’instrument suprême de la justice universelle ; les autres, une noble mais vaine utopie. Logée à La Haye (Pays-Bas), la Cour pénale internationale, ou CPI, devait être le catafalque de l’impunité et le terminus des massacreurs. Las ! on a surtout enseveli pour l’heure au pied de son siège, fortin tout de blanc et de verre vêtu, quelques illusions.

Comme elle paraît loin, l’euphorie initiale…

Le 17 juillet 1998, des clameurs de joie retentissent et des yeux s’embuent lorsque, après des semaines d’âpres palabres, les émissaires de 120 pays, réunis à Rome, signent la charte fondatrice de ce tribunal planétaire permanent. Mission : châtier les auteurs de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. « Nous pensions changer le monde, confie, quinze ans après, le vétéran Gilbert Bitti, aujourd’hui conseiller juridique de la section préliminaire de la CPI. Au coeur de la décennie magique ouverte par la chute du mur de Berlin, tout semblait possible.

Autant dire que le retour sur terre sera violent. » De fait, la cour, inaugurée quatre ans plus tard, suscite des espoirs démesurés. Sans doute l’hymne du « plus jamais ça » couvre-t-il l’increvable rengaine de la realpolitik. « La CPI a avant tout le mérite d’exister, nuance Liz Evenson, animatrice du programme justice internationale au sein de l’ONG Human Rights Watch. Elle expose tout chef de guerre au risque d’avoir à rendre un jour des comptes ; et met en lumière le calvaire des victimes. Mais personne n’avait alors mesuré l’ampleur des défis. »

Le plus écrasant ?

Une dépendance totale envers les Etats, qu’ils figurent ou non parmi les 122 ayant désormais ratifié le statut de Rome, et leur bon vouloir à géométrie variable. En clair, si la CPI, dépourvue de bras armé, n’a rendu à ce jour qu’un unique verdict, condamnant le milicien congolais Thomas Lubanga à quatorze ans de prison, elle ne saurait être tenue pour seule responsable de la maigreur du tableau de chasse. Au minimum, trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, tuteur de fait, restreignent son champ d’action. Jamais la Russie ne la laissera s’aventurer en Tchétchénie ou chez son obligé syrien. Pas question pour Pékin de tolérer la moindre « ingérence » au Tibet ou chezles alliés nord-coréen ou sri-lankais.

Les Etats-Unis ?

Si l’administration Obama a rompu avec le pilonnage de l’ère Bush, on l’imagine mal avaliser une enquête portant sur la conduite de ses GI en Irak et en Afghanistan. Encadrer la laborieuse traque de l’Ougandais Joseph Kony, gourou sanguinaire de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), soit ; oeuvrer au transfert à La Haye, via le Rwanda, du Congolais Bosco Ntaganda, d’accord. De là à cautionner une démarche incriminant Israël… « Une hypocrisie énorme, peste un magistrat chevronné. Voyez le cas libyen : en 2011, on nous somme d’inculper Mouammar Kadhafi, pour nous lâcher en rase campagne dès sa chute. Notre juridiction paie au prix fort sa soumission aux puissants. » Aujourd’hui, Tripoli refuse de livrer Seïf al-Islam, fils et dauphin du Guide défunt, ainsi que l’ancien chef du renseignement de la Jamahiriya.

Un coup de glaive dans l’eau ?

Procureur de la cour depuis le 18 juin 2012, la Gambienne Fatou Bensouda a dénoncé au début de juin à New York l' »inaction » et la « paralysie » du Conseil de sécurité de l’ONU sur le front du Darfour. Il faut dire qu’au mépris des deux mandats d’arrêt lancés contre lui le président soudanais Omar el-Béchir enchaîne les visites à l’étranger. Y compris au Tchad, ce voisin censé, du fait de son adhésion au Statut de Rome, l’arrêter et l’expédier vers Scheveningen, l’annexe carcérale de la CPI.

Par Vincent Hugeux

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