Thierry Fiorilli

« Des sociétés technologiquement toujours plus sophistiquées, mais mentalement toujours plus régressives »

Thierry Fiorilli Journaliste

Deux épisodes de cette semaine démontrent qu’aux yeux tant des dirigeants que des dirigés, les journalistes n’ont plus guère d’utilité. Pas davantage que les hommes politiques.

Le type a allumé son smartphone. Il a fait dérouler son écran, s’est arrêté sur une page, entre sept et huit secondes, a filé sur l’application téléphone et appelé sa copine. « T’as entendu ? Attentat à New York ? » On peut supposer que la fille n’y a pas cru, parce qu’il a insisté. « Je te promets, un truc explosif. Avec des blessés. » Plus que probablement, elle a continué à douter. Puisqu’il l’a houspillée, agacé : « Allume ton Facebook, tu verras bien ! » Le reste est vague.

Plus trop de souvenirs. A cause de cette phrase, qui prenait soudain toute la place :  » Allume ton Facebook, tu verras bien !  » Pour ce type-là, plutôt la trentaine, et pour sa copine, n’allez pas chercher midi à quatorze heures : oubliez la télé, la radio, les quotidiens, les magazines, les sites d’infos même ; l’information, c’est Facebook qui la donne. Et on ne peut pas s’empêcher d’être convaincu que, pour lui comme pour elle, le réseau social ne relaie pas des infos publiées ou diffusées par la presse : c’est lui qui les donne ; c’est lui qui va les chercher ; c’est lui qui annonce, qui révèle, qui décode, qui commente. Qui dit la vérité.

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Quelques heures plus tard, on assistait à l’interview donnée par le président de la Commission européenne aux « YouTubeurs » de tous les pays de l’Union. Officiellement, une façon de rapprocher la population de ces instances trop élitistes, trop déconnectées, trop hermétiques, trop intouchables. Dans les faits, une preuve supplémentaire qu’il n’est plus trop indispensable de solliciter, convier ou affronter les médias, dès lors qu’on ne les contrôle pas bien sûr, pour communiquer. Même si les pressions peuvent ne pas décourager les citoyens de poser les questions qui embarrassent.

Deux épisodes qui démontrent en tout cas qu’aux yeux tant des dirigeants que des dirigés, les journalistes n’ont plus guère d’utilité. Pas davantage que les hommes politiques, répète-t-on, impuissants qu’ils sont devant le vrai pouvoir, celui des multinationales, des marchés, des actionnaires. Pas davantage non plus que les salariés, ouvriers ou employés, balayés par la robotisation et la numérisation. Plus besoin non plus de syndicats, de partis politiques, d’élections, symboles d’un autre âge, de perte de temps, de freins, de triche… D’ailleurs, il n’y aura bientôt même plus besoin d’électeurs, le nombre de likes faisant office de votes.

Tout ça, évidemment, comme l’éructent les gigantesques vagues de paroles et pensées libérées s’abattant sur nos rivages, dans des pays où on n’aura surtout plus besoin d’étrangers. Si possible, de religion non plus.

C’est, très caricaturalement brossé, le tableau qui se révèle à nous chaque jour avec plus de netteté. Celui de sociétés technologiquement toujours plus sophistiquées, mais mentalement toujours plus régressives. Envie de tout, et tout de suite, mais besoin de personne, et nulle part. Des sociétés qui, pourtant, acceptent l’inacceptable. Comme ces prix exorbitants de certains traitements et médicaments, qui empêchent des malades de se soigner, enrichissent l’industrie pharmaceutique déjà bien prospère et creusent plus profond encore le trou de notre sécurité sociale.

C’est ce qu’illustrent notre enquête et la campagne de Médecins du monde. Facebook relayera bien un jour.

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