La disparition du "Vieux" complique un peu plus la transition politique qui doit mener au retrait de Joseph Kabila de la présidence. © CAROLINE THIRION

« Des élections au Congo en 2017 ? Improbable ! »

Le décès d’Etienne Tshisekedi ébranle un peu plus la transition politique à Kinshasa. La date du scrutin présidentiel reste incertaine. Le point avec le politologue Dieudonné Wamu Oyatambwe.

La disparition d’Etienne Tshisekedi (84 ans) fragilise l’opposition au président Kabila, d’autant que le  » Vieux  » était pressenti pour diriger le comité de suivi de l’accord du 31 décembre 2016, dit de la Saint-Sylvestre, qui doit mener à l’élection présidentielle. Entretien avec Dieudonné Wamu Oyatambwe, docteur en sciences politiques (VUB), auteur notamment de De Mobutu à Kabila. Avatars d’une passation inopinée (L’Harmattan).

Le décès de Tshisekedi marque-t-il un tournant dans l’histoire politique du Congo ?

C’est en tout cas un événement qui aura des répercussions sur l’accord de la Saint-Sylvestre entre la majorité et l’opposition pour laisser en place Joseph Kabila (NDLR : dont le mandat se terminait officiellement le 19 décembre 2016) jusqu’à la tenue de la prochaine élection présidentielle.

Une élection qui aura lieu, comme annoncé, avant fin 2017 ?

Ceux qui ont signé cet accord y croient-ils vraiment ? Ils ne sont pas naïfs. Il suffit de voir le budget pour organiser le scrutin : les caisses sont quasi vides. Les acteurs politiques sont bien conscients qu’il n’y aura pas d’élection cette année.

En attendant, cette disparition du « sphinx de Limete » est-il un coup dur pour l’opposition ?

C’est un coup dur car Tshisekedi l’incarnait. Ceux qui se réclament aujourd’hui de l’opposition sont des gens qui ont suivi des itinéraires politiques très opportunistes, se retrouvant dans un camp puis dans l’autre alors que lui-même, depuis qu’il avait rompu avec Mobutu au début des années 1980, ne s’était jamais réconcilié avec le pouvoir. Il représentait un contre-pouvoir permanent.

Pourquoi, chez lui, cette confrontation permanente, et frontale, au pouvoir ?

Dieudonné Wamu Oyatambwe.
Dieudonné Wamu Oyatambwe. © SDP

Deux éléments ont joué : d’abord, Tshitshi, comme on le surnommait, avait une conception de l’Etat de droit sur laquelle il ne voulait pas transiger. C’est pourquoi il avait boycotté la première élection présidentielle libre de 2006, car il considérait que le processus serait biaisé. Cela s’est avéré une erreur stratégique. Du coup, il s’est ravisé pour les élections de 2011, en y faisant participer son parti UDPS, mais c’était trop tard, car ce scrutin s’est avéré bien plus biaisé encore. L’autre élément, c’est la représentation qu’il avait du pouvoir : c’était tout ou rien. Cela n’a pas facilité ses contacts avec les autres acteurs politiques car il donnait l’impression d’un homme incapable de composer. A l’intérieur de son parti, il a fait le vide autour de lui.

Qui sera le nouveau leader de l’opposition, vu que Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi sont en dehors du pays ?

Bemba purge une longue peine à La Haye après que sa milice a été reconnue coupable par la Cour pénale internationale de crimes contre l’humanité en Centrafrique, tandis que Katumbi s’est exilé à la suite d’une condamnation dans une affaire dite de  » biens spoliés « . Celui-ci reste populaire grâce à son engagement en faveur du sport et pour avoir donné l’impression d’une bonne gouvernance dans le Katanga. Surtout, il dispose d’énormément de moyens. Or, au Congo, les ressources économiques sont aussi des ressources politiques. Il ne faut toutefois pas oublier que Katumbi a rompu avec le pouvoir en place depuis peu de temps et qu’il n’a pas encore fait ses preuves en tant qu’opposant.

D’autres noms peuvent-ils émerger ?

Il y a des anciens ténors de l’opposition, comme Joseph Olenghankoy ou Valentin Mubake, qui ont longtemps milité aux côtés de Tshisekedi, mais aussi de nouveaux acteurs comme Martin Fayulu ou Freddy Matungulu, qui s’inscrivent dans une opposition rigoureuse. Citons également Vital Kamerhe, qui a rompu avec Kabila, ou des dissidents de l’UDPS comme Samy Badibanga, l’actuel Premier ministre. Cela ne donne toutefois pas l’idée d’une opposition très structurée.

En quoi l’accord de la Saint-Sylvestre est-il un enjeu majeur, vu qu’il ne concerne qu’une période transitoire ?

C’est un enjeu majeur parce que les acteurs savent que le délai d’un an avant les élections est irréaliste et qu’il vaut mieux être à la manoeuvre dès maintenant en vue du partage du gâteau. C’est une assurance sur le moyen terme. Sans compter qu’on va peut-être procéder à la recomposition de la commission électorale, du conseil supérieur de l’audiovisuel, de la direction de certaines entreprises publiques… Or, Tshisekedi était pressenti pour diriger le mécanisme de suivi de l’accord dont les  » arrangements particuliers  » se négocient encore. Maintenant qu’il a disparu, cela risque de créer des tensions. Son fils Félix sera-t-il adoubé comme le Premier ministre de la transition ? Ce n’est plus du tout certain.

Ce flou politique profite-t-il au président Kabila ?

L’accord de la Saint-Sylvestre entérinait ce qui était prévu au départ : bien avant la fin de son mandat, la Cour constitutionnelle avait prévu que Joseph Kabila reste en place jusqu’à l’investiture de son successeur élu. Même si l’opposition le contestait, Kabila y a gagné en légitimité. Sur le plan politique, il n’est ni dépossédé de son pouvoir ni affaibli, même si on lui flanque un Premier ministre de l’opposition, comme c’est déjà le cas maintenant. Il a donc le temps de préparer sa sortie et le terrain pour un successeur, encore que beaucoup autour de lui évoquent la possibilité d’un référendum pour une nouvelle Constitution…

… pour repartir à zéro avec un Kabila qui se représenterait ?

Le référendum est explicitement exclu par l’accord de la Saint-Sylvestre, sans être écarté pour autant. D’où l’importance d’être à la manoeuvre dans le mécanisme de suivi. Car jusqu’à présent, on ne voit guère émerger de successeurs dans l’entourage présidentiel. On parle parfois de Henri Mova, secrétaire général du parti présidentiel PPRD, d’Aubin Minaku, secrétaire général de la majorité présidentielle, mais sans plus…

Tout ce jeu politique n’est-il pas en déconnexion totale avec la réalité des gens ?

Oui, il n’y pas seulement l’instabilité endémique qui persiste à l’est, mais aussi la situation à Kinshasa, où la misère sociale gonfle, aggravée par la crise économique, la dévaluation de la monnaie de près de 30 %, alors que les salaires sont payés en francs congolais et les prix fixés en dollars. Les jeunes n’ont plus de travail, et cela devient difficile de les contrôler, car ils n’ont plus rien à perdre.

Le bilan de Kabila se résume-t-il à une faillite ?

Les deux mandats ont donné espoir mais cela n’a pas duré longtemps. Les cinq chantiers, les réformes pour payer à temps les salaires, la réalisation d’infrastructures, c’était positif, mais tout cela s’est effondré à cause de la corruption, de l’enrichissement illicite, de la fuite des capitaux, de la gabegie… Pourquoi le Congo ne pourrait-il pas faire aussi bien que le Rwanda, le Ghana, le Botswana ou l’Afrique du Sud ? C’est une question de bonne gouvernance et d’un bon leadership. Etre bien élu ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir améliorer la vie des gens.

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