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Des drones inutilisables vont-ils faire sauter le ministre allemand de la défense?

Le Vif

Le ministère allemand de la défense a mis 6 ans pour réaliser que des drones achetés aux Etats-Unis n’auraient pas le droit de voler en Europe. Un scandale à 550 millions d’euros. Thomas de Maizière, le ministre préféré d’Angela Merkel, essaye de sauver sa tête.

Achèteriez-vous une voiture si on vous explique qu’elle ne pourra être homologuée pour circuler sur les routes? Certainement pas. C’est pourtant ce qu’a fait le ministère allemand de la Défense en signant, en 2007, un contrat avec le constructeur américain Northrop Grumman. Dans ce contrat d’un montant évalué à 1,3 milliard d’euros, Northrop s’est engagé à livrer 5 drones de type Global Hawk, le plus gros de tous les drones de surveillance jamais construit.

Une perte sèche de 550 millions d’euros

Le premier appareil-test, rebaptisé Euro Hawk, a atterri en Allemagne l’été dernier pour y subir diverses modifications, comme sa mise aux normes européennes ou l’installation d’un système de surveillance mis au point par EADS. À cette date, l’Allemagne a déjà déboursé plusieurs centaines de millions d’euros pour ce programme d’armement. Mais quelques mois plus tard, c’est le coup de théâtre: le ministre fait savoir que les coûts de certification étant trop élevés (600 millions d’euros), l’Allemagne se désengage du programme. Pour le budget de la défense, la perte sèche est de 550 millions d’euros ! Une somme qui permettrait de créer près de 50 000 places de crèches fait ironiquement remarquer le magazine Der Spiegel.

Pour la chancelière Angela Merkel, l’affaire tombe mal. Elle implique directement le ministre de la Défense Thomas de Maizière, son plus fidèle collaborateur et successeur potentiel. Elle éclate aussi 4 mois avant les élections législatives, alors même que la Chancelière est en pleine campagne électorale et fait tout pour convaincre les Allemands qu’avec elle, leur argent est bien gardé. Depuis l’annonce du ministre, le 14 mai dernier, le « scandale Euro Hawk » occupe en effet plus la une des journaux allemands. Outre-Rhin, tout le monde se demande évidemment pourquoi le bataillon d’experts de la Luftwaffe et du ministère n’a pas prévu ce scénario, ce qui aurait permis d’arrêter les frais beaucoup plutôt.

Le ministre charge ses secrétaires d’Etat

C’est donc pour répondre à cette question et justifier tant l’attitude de ses services que la sienne que Thomas de Maizière a promis de tout dire en ce mercredi 5 juin. Et c’est un ministre fatigué, mais décidé qui est apparu devant la presse à la mi-journée, entre deux auditions parlementaires. La ligne de défense qu’il a adoptée se résume brièvement : il ne savait rien. Il est donc responsable, mais pas coupable ! M. de Maizière a ainsi expliqué que ses deux secrétaires d’Etat Rüdiger Wolf et Stéphane Beemelmans ne l’avaient jamais informé de la gravité des problèmes du dossier Euro Hawk. Et ce n’est qu’en mai 2013 qu’il aurait découvert le pot aux roses.

Ce choix tactique, qui implique que l’un ou l’autre secrétaire d’Etat pourrait bientôt jouer le rôle de fusible, montre que M. de Maizière n’a pas abandonné l’espoir de conserver son maroquin ministériel. Mais le rapport que la Cour fédérale des comptes a également décidé de publier aujourd’hui enfonce le clou. À la décharge du ministre, les contrôleurs fédéraux rappellent qu’il est entré en fonction en mars 2011. Il n’est donc ni l’auteur, ni le seul responsable de cette gabegie. Pourtant, à cette date, les graves problèmes liés à la certification ont déjà été signalés à maintes reprises par les experts de la Luftwaffe.

Malgré cela, les services ministériels ont continué à  » pousser  » le dossier comme si de rien n’était, explique le rapport qui considère qu’une intervention plus précoce aurait pu avoir lieu. Surtout, la Cour fédérale des comptes dépeint les lenteurs, pesanteurs et aberrations du fonctionnement d’une administration ministérielle et militaire qui a pourtant récemment fait l’objet d’une grande réforme, cette fois-ci sous l’entière responsabilité de … Thomas de Maizière qui va avoir bien du mal à sortir indemne du scandale Euro Hawk.

Thomas Schnee, Berlin

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