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Dans un camp près de Mossoul, familles de l’EI et déplacés cohabitent

Le Vif

Comme des centaines de milliers d’Irakiens, Maha vit dans un camp de déplacés près de Mossoul. La différence avec les autres familles? Son père était un fonctionnaire du groupe Etat islamique (EI) et son mari un combattant jihadiste.

« Les hommes n’en font qu’à leur tête, ils ne vous écoutent jamais », avance, en guise d’excuse, la jeune femme qui vient d’arriver dans un camp de la région d’Al-Jadaa, au sud de Mossoul.

Dans ce centre qui accueille 18.000 personnes ayant fui les combats à Mossoul et dans ses environs, on vient tout juste de transférer 83 familles: pour la plupart des femmes et des enfants, qui avaient vraisemblablement un père, un mari, ou un frère affilié aux jihadistes.

Le père de Maha était employé par l’EI et sa tâche était de distribuer leur pension aux familles des combattants morts. Il a été tué dans une frappe aérienne sur le quartier de Maidan, dans le Vieux Mossoul, ultime secteur où les jihadistes s’étaient retranchés avant que les autorités n’annoncent leur victoire le 10 juillet. « Quand on est sorti (de Mossoul) ils nous ont interrogés, ils nous ont dit ‘on veut la vérité’. On a dit la vérité », confie Maha.

Originaire d’une région agricole au sud de Mossoul, la famille a fui l’avancée des forces de sécurité pour s’installer en octobre dans la deuxième ville d’Irak. « Personne ne nous a fait du mal, on nous traite bien », assure la jeune femme, le visage dissimulé par un foulard qui dévoile seulement ses yeux et un regard inquiet. Hamza, 5 ans, et Khattab, 4 ans, se collent à ses jambes, agrippant sa djellaba aux couleurs automnales -jaune, orange, rouge brun.

Sous l’EI, « la belle vie »

Chose rare dans un camp de déplacés, quatre soldats armés montent la garde près du carré où ont été installés les nouveaux arrivants. Mais les femmes et les enfants vont et viennent en toute liberté, cuisinant sous leur tente sur un petit réchaud à gaz. Pour le déjeuner, des tomates coupées en tranche et des oignons avec du pain.

Dans une allée, un attroupement: un camion des autorités distribue des blocs de glace pour aider les déplacés à supporter une chaleur d’enfer. Installées sous leur tente, entourées par des bambins à demi-nu, en pleurs et hurlant à plein poumon, Khawle et Nawal ne mâchent pas leurs mots quand elles évoquent l’offensive des forces de sécurité à Mossoul. « Ils disent qu’ils nous ont sauvés. Mais de qui? c’est eux qui nous bombardaient. On marchait sur des cadavres partout », lâche Nawal.

Sa soeur Khawle l’interrompt dans un soupir: « On avait la belle vie. Ils nous traitaient bien », assure la jeune femme, en référence à l’EI. Leur père, un ancien chauffeur de bus âgé de soixante ans, s’était rallié aux jihadistes et était devenu mécanicien. « On avait plus rien, on avait pas d’argent », justifie Khawle.

« Il est de notre devoir de les héberger, de leur fournir des aides, de les traiter comme on traite tous les déplacés », assure à l’AFP Saad Faraman, un responsable de l’ONG irakienne RNVDO, en charge de l’administration des camps d’Al-Jadaa. Il explique que ces familles sont récemment arrivées du camp de Bartalla, « un centre de réhabilitation » près de Mossoul qui accueillait au moins 170 familles selon Human Rights Watch, et qui est en passe d’être fermé.

« Inquiétude »

L’ONG avait vivement critiqué le 13 juillet l’existence du camp de Bartalla: « les autorités irakiennes ne devraient pas punir des familles entières à cause des actions de leurs proches », avait asséné Lama Fakih, responsable de HRW. Mais face aux nouveaux arrivants, les déplacés d’Al-Jadaa ne cachent pas leur malaise. « Ce sont des femmes et des enfants, ce n’est pas un problème, c’est le gouvernement qui les a transférés », avance prudemment Mohamed Zeid, un ex-policier de la région de Mossoul, reconverti en berger après l’arrivée des jihadistes. « Ils sont dans leur tente et moi dans la mienne, on ne reste pas ensemble », souligne-t-il, vêtu d’une djellaba blanche, un keffieh rouge sur la tête.

Ahmed Najeh, 40 ans, se dit inquiet même s’il s’agit de femmes et d’enfants. « Je mens si je dis que je me sens à l’aise ». Car ici, on est à six kilomètres seulement d’une zone encore tenue par l’EI, selon M. Faraman: « les forces de sécurité ont récemment tué trois éléments armés de l’EI qui avançaient en direction des camps ».

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