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« Dans leur grande majorité, les politiques sont des voleurs d’espoir de pauvres »

Le Vif

Retiré de la compétition, Olivier de Kersauson, le navigateur français, revient sur son parcours dans un livre où le  » pirate  » breton n’a rien perdu de son franc-parler. Il ouvre aussi son carnet de bord intime. Extraits.

Comme Brel, le navigateur a choisi de vivre là où par manque de brise, le temps s’immobilise. En Polynésie. Olivier de Kersauson se partage désormais entre les îles Tuamotu et Saint-Renan, près de Brest. Aux Tuamotu, à fréquenter des vagues âgées de milliers d’années, il a touché du doigt l’infini : « Il n’y a pas de marée ici, alors ces vagues tapent toujours au même endroit. C’est de l’éternité souriante. » Et puis il s’est remarié, lui qui prétendait que « le paradis, ce fut quand Eve arriva. Et l’enfer, ce fut lorsque Adam en prit l’habitude ». Il assume son changement de cap : il veut tenter l’aventure d’une « vraie histoire ». L’éternité, l’amour, la postérité ? Le rugbyman Jean-Pierre Rives lui a confié un jour qu’un sportif mourait deux fois, la première étant lorsqu’il arrête son sport. A 69 ans, Kersauson annonce son retrait de la compétition, mais il le fait dans un nouveau livre qui ressemble à un commencement, Le Monde comme il me parle. Entre souvenirs pudiques et vérités assénées, coups de gueule et poésie, on retrouve « l’Amiral » des Grosses Têtes en philosophe des océans. Le Vif/L’Express en publie en exclusivité des extraits. C.K.

Les politiciens
Il faut comprendre que bon nombre de politiques français qui sollicitent notre vote sont des types qui n’ont jamais réellement travaillé.

Hallucinant. Ils n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise. Ils ont bossé dans l’administration mais n’ont jamais rien géré : ils n’ont jamais été responsables de leur travail. Et ce sont les mêmes qui parlent de l’économie, de la vie… C’est le monde de l’imposture. […]

Les politiques sont, dans leur grande majorité, des voleurs d’espoir de pauvres. Ils font croire, aux plus déshérités, la possibilité de choses qui ne sont pas – et tout cela pour ramasser de quoi rouler dans des bagnoles avec chauffeur.

Mai 1968 Le monde de mon enfance est viscéralement conservateur, non seulement en France, mais partout. Les gens ne sont pas libres. Je le constate chez nous, mais aussi dans les pays de l’Est, en URSS. Quand je m’aperçois que des gens de mon âge ne peuvent pas circuler (et c’est circuler qui déjà m’intéresse), je me dis que ce monde est complice de sa propre torture. Qu’il faut s’éclipser au plus vite.

Et puis, il y a les événements de 1968, à Paris : je fais mon service militaire à La Trinité-sur-Mer en « vivre isolé » – je suis soldat mais je vis tout seul. Quand je les ai entendus parler de leur « révolution », j’étais tordu de rire ! Les seules choses qui m’aient amusé furent les slogans : « Il est interdit d’interdire. » Mai 68 est une histoire d’enfants gâtés. Ces types qui révolutionnent n’ont pas connu le même monde que moi. Ce n’est pas Mai 68 qui fait changer les idées, c’est parce que les idées ont changé que Mai 68 arrive.

Tabarly
Dans mon métier de marin, la postérité n’est pas pensable. […] Seul Tabarly a laissé des choses car c’était un génie.

Un génie est un type qui a des idées que les autres n’ont pas. Eric a inventé des bateaux. Il a fait évoluer le monde maritime. Sa culture était considérable : Eric était une encyclopédie flottante.

Dans le yachting, c’est très net, il y a un avant et un après Tabarly. Moi, je n’ai fait que perfectionner des choses qui avaient été mises en exergue. Moi, j’ai du talent mais pas de génie.

Un génie est un mec capable de mettre en application une pensée qui n’a pas été accomplie. C’était le cas d’Eric.

Tabarly avait la perception simple de ce qui doit être fait. C’est énorme. Un peu comme, la première fois, le mec qui, au sortir de sa grotte préhistorique, a l’idée de durcir son épieu au feu pour que la pointe transperce mieux le mammouth.


Les débuts
Je m’inscris à l’école de voile car c’est le seul moyen de naviguer lorsque l’on n’a pas de bateau. Très vite, je ne deviens pas le patron mais celui auquel le patron n’ose rien dire. C’est ce que je suis toujours, d’ailleurs, dans la vie : un type auquel les patrons n’osent rien dire !

Puis je pars à La Trinité pour naviguer sur les bateaux des autres.

Enfin, les bateaux ! Il y en a 20 dans le port. Il m’arrive, avec des amis, de piquer la nuit des yachts à des propriétaires qui vivent à Nantes (à l’époque, Nantes, c’est loin) et de les ramener au port de La Trinité au petit matin, sans que le proprio se soit aperçu de rien – on irait en prison pour ça aujourd’hui. J’ai 16 ans, il faut bien emmener les filles se promener… L’été, je garde les bateaux. Bientôt, je suis embarqué comme équipier. C’est le début du monde professionnel.

Mis à part Tabarly (qui est professionnel en 1964), il n’y a pas de gens dont la mer soit le métier. Je rencontre les frères Vanech, dont le père a un chantier naval : on va chercher des bateaux en Hollande et on les ramène en France. Je commence à faire de grands voyages. Je rencontre aussi Tabarly, qui est officier de marine et qui me dit : « Si tu fais ton service dans la marine, je t’embauche. » […]

Yves Guégan est avec moi, il fait son service aussi : nous allons bientôt courir sur Pen Duick III, une goélette de 19 mètres. J’ai 23 ans et nous allons courir avec Eric : la Gotland Race (Suède), la Middle Sea Race, la Fastnet Race (Angleterre), Plymouth-La Rochelle, Sydney-Hobart, Sydney-Nouméa, Ouvéa-Sydney…

Je suis toujours militaire, je n’ai pas un rond (je touche l’équivalent de 20 francs par jour). Pen Duick III est financé par Eric en fonds propres, il est officier de marine, on lui fiche la paix, on le laisse courir avec son bateau (le ministère de la Jeunesse et des Sports l’aide un peu). Quand on déchire un spi, nous savons très bien que nous sommes surtout en train de lui déchirer deux mois de salaire ! Il n’y a pas d’argent. Je suis prêté par la marine à Tabarly. On se démerde. Nous partageons nos frais de bouffe. A l’époque, il n’y a pas d’argent dans le yachting : il arrivera avec la première Route du Rhum, en 1978 (ce qui scandalisera tout le monde).

Je suis resté huit ans avec Eric. Il avait, pour moi, toutes les clés du monde que je voulais connaître. A l’époque, le monde industriel français se demande comment l’aider – tant il est créatif, ingénieux. Il suscite la passion. C’est le bureau d’études de chez Dassault qui règle nos problèmes techniques !

Je deviens véritablement le second de Tabarly sur Pen Duick VI pendant le tour du monde (1973), quand Eric dit à l’équipage : « Quand Olivier parle, c’est moi qui parle » (il le dit en Australie).

L’évolution du sport
Quand je suis parti avec Tabarly autour du monde, nous disposions de cartes qu’Eric avait récupérées auprès de la Marine nationale française. Parfois, sur ces cartes, il y avait marqué : Terra incognita (je me rappelle cette inscription sur la Tasmanie). […]

Il y a trente ans, à bord, on mangeait ce qu’on pouvait. Durant mes dix dernières années de course, de records, mes repas étaient analysés par des nutritionnistes – ils avaient calculé les besoins biologiques de l’équipage.

A l’époque, il fallait emmener l’eau douce dans des cuves. Aujourd’hui, quand le groupe électrogène tourne à bord, on fabrique son eau. Je me souviens qu’avec Tabarly nous récupérions l’eau douce dans les voiles – pour se laver mais aussi pour boire quand nous commencions à être un peu à court -, sur la Whitbread, par exemple. Idem sur Pen Duick IV (plus rien à boire), en sortant de Panama, en montant sur Los Angeles-Honolulu : nous récoltions de la pluie pour boire. […]

Au cours des premières Whitbread sur Pen Duick, il y a une radio BLU sur laquelle on peut parler de temps à autre, mais heureusement que nous avons un opérateur radio qui a l’habitude car ça passe une fois tous les quinze jours (en 1973, on émet en morse). Aujourd’hui, Ellen MacArthur durant son tour du monde en solitaire a dépensé 200 000 euros de frais de téléphone.

Sur la Volvo Ocean Race, les enfants parlent au pilote : « Bonsoir, papa. » Ce sont des mondes qui se succèdent.

Le Monde comme il me parle, par Olivier de Kersauson. Le Cherche-Midi, 264 p.

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