Carte blanche

Crise politique francophone : et le CETA dans tout ça ?

Neuf mois après l’engagement politique pris dans le cadre de la déclaration intrabelge sur le CETA, les gouvernements fédéral et régionaux n’ont toujours pas accouché de la demande d’avis à la Cour Européenne de Justice concernant la compatibilité de l’instrument de protection d’investissement et de règlement des différends avec les traités européens.

Depuis que la Cour avait rendu en mai un avis sur un autre traité de commerce et d’investissement (UE-Singapour) auquel le gouvernement fédéral avait lié le sort de la demande concernant le CETA, plus rien ne pouvait faire obstacle à la concrétisation de cette démarche. Le porte-parole des Affaires étrangères avait assuré que la demande serait transmise « avant l’été ». Pourtant, l’été a débuté le 21 juin… Et l’on approche à grands pas du 21 juillet, date à partir de laquelle chacun sait que les bureaux sont déserts. La crise politique francophone serait-elle passée par là ? Le gouvernement fédéral pro-CETA jouerait-il la montre en attendant que d’autres majorités régionales moins critiques soient installées ?

Un problème constitutionnel ?

La clause de règlement des différends entre investisseurs privés et Etats (son acronyme, ISDS, est désormais bien connu) fut l’objet d’une reformulation par la Commission pour éviter que la polémique n’emporte le CETA. Cependant, un certain nombre de voix se plaignant d’un problème d’ordre « constitutionnel » se faisait toujours entendre au point que près de nonante eurodéputés avaient soutenu une motion visant à ce que le Parlement européen demande à la Cour son avis.

En cause : le recours à un arbitrage pour régler des litiges et interpréter l’accord semble peu conciliable avec la compétence reconnue à la Cour de Justice pour interpréter les traités et statuer sur « la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union » (art.267). Pour l’Association allemande des juges (DRB) qui fit connaitre son point de vue en février 2016 lequel résume assez bien les doutes et critiques émises à l’encontre de la solution proposée par la Commission, les choses sont claires : un tel dispositif est superflu dans la mesure où les systèmes judiciaires européens garantissent l’accès à la justice et des protections effectives aux investisseurs étrangers. Ils doutent par ailleurs de la compétence de l’UE à s’engager dans la création d’une cour d’investissement qui limiterait les pouvoirs législatifs et empiéteraient sur les cours nationales et sont sceptiques quant à la possibilité d’assurer l’indépendance financière et technique des arbitres.

Un avis de la Cour européenne de justice n’est pas attendu avant deux ou trois ans, ce qui n’empêchera pas le CETA d’entrer provisoirement en vigueur à compter du 21 septembre prochain. Autrement dit, toutes les dispositions qui ne relèvent que du droit européen et n’impliquent pas les compétences nationales seront applicables. Le chapitre sur la protection des investissements ne sera d’application que si tous les Etats membres ratifient le CETA.

Suite et pas fin

Aux alentours de la fin de l’année, la Commission devrait demander la permission aux Etats membres d’entrer en négociation avec des partenaires commerciaux (à commencer par le Canada et le Vietnam), pour mettre en place une Cour Multilatérale sur les Investissements, « MIC » dans le jargon. Des discussions préliminaires à une échelle plus vaste ont déjà commencé à l’occasion de discussions tenues le 9 juillet à la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (UNCITRAL). La MIC est la réponse imaginée pour répondre aux défauts des mécanismes existants de protection des investissements : une cour permanente avec des juges désignés et rémunérés de manière à éviter des conflits d’intérêts ainsi qu’un mécanisme d’appel pour la partie qui s’estimerait lésée par le verdict final, sans oublier la possibilité d’entendre des parties tierces aux litiges.

Cela étant dit, elle ne permettra pas de répondre aux critiques fondamentales de la protection des investissements, à savoir la triple discrimination au coeur du mécanisme. D’une part, les investisseurs privés étrangers sont plus protégés que les domestiques. D’autre part, la procédure est rédhibitoire pour les PME. Ensuite, alors que l’OCDE ou les Nations Unies ont adopté des principes directeurs pour veiller à ce que les activités des entreprises multinationales ne portent pas atteinte aux droits de l’Homme, les Etats, les syndicats, ONG des droits de l’Homme, etc. n’auront pas accès à cette Cour pour, le cas échéant, amener les multinationales à respecter ces grands principes. C’est d’autant plus préoccupant que les concepts très vagues de « traitement juste et égal » et d’ « attentes légitimes » utilisés par des investisseurs peu scrupuleux pour remettre en cause des normes promouvant l’intérêt général resteraient centraux.

Quoi qu’il en soit, si la Cour apporte quelques réponses, cela prendra encore de longues années de persuasion de la part de ses supporteurs (le Japon avec qui l’UE vient de sceller un accord politique pour un nouveau traité commercial et d’investissement n’y est toujours pas favorable) et de négociation avant qu’elle ne voit le jour, si tant est qu’elle sorte des limbes. Durant toute cette période et à condition que le processus de ratification du CETA ne déraille pas, le bon vieux régime s’appliquera.

Ainsi, la bataille contre une protection disproportionnée des investisseurs étrangers et pour la préservation de l’Etat de droit et de la transparence dans laquelle se sont engagés des millions d’Européens et des milliers de villes et qui mobilise de plus en plus en dehors de notre continent est loin d’être terminée.

Philippe Lamberts, co-Président des Verts/ALE au Parlement européen, eurodéputé Ecolo et Bart Staes, eurodéputé Groen

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