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« Craindre une vague de migrants en Europe est démesuré »

Le renforcement des frontières européennes face à un possible afflux de migrants, venus d’Afrique du Nord a fait la « une » des médias cette semaine. Jean-Philippe Chauzy, porte-parole de l’OIM, fait le point sur ces flux migratoires.

Alors que la question migratoire postérieure au « printemps arabe » agite les pays d’Europe du sud, la pression porte moins sur les pays européens, que sur les pays d’Afrique du Nord, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Les explications de Jean-Philippe Chauzy, son porte-parole.

Vous avez déclaré que l’Afrique du Nord portait davantage le poids migratoire de la crise libyenne, que l’Europe. Expliquez-vous…

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. 600 000 personnes ont fui le pays depuis le début de la crise. 4000 sont arrivées sur l’île de Lampedusa, et 290 000 sont parties vers la Tunisie. Ces personnes étaient essentiellement des travailleurs asiatiques ou issus d’Afrique subsaharienne, qui transitaient pour ensuite rejoindre leur pays d’origine.

Qu’en est-il des flux migratoires causés par les crises égyptienne et tunisienne?

En même temps que la Libye, la Tunisie a connu, depuis le début de la révolte populaire, le départ de plus de 23 000 personnes. Pour la plupart, celles-ci se sont aussi dirigées vers l’île de Lampedusa. Au total, avec les 4000 réfugiés venus de Libye, l’île a donc accueilli près de 28 000 personnes.

Par contre, nous n’avons aucune information concernant des personnes qui ont quitté le territoire égyptien, lui aussi secoué par un mouvement populaire. La raison en est que l’Egypte n’a pas connu de mouvements migratoires, quand, en Libye, nous avions à contrario presque 5000 personnes chaque heure souhaitant quitter le pays, au plus fort de la crise.

Que pensez-vous de la polémique européenne concernant l’afflux de migrants aux frontières de l’Union?

Mettre en place un contrôle renforcé aux frontières européennes, cela se comprend. Mais, ce que nous vivons aujourd’hui est moins une crise de réfugiés en Europe, qu’une crise migratoire régionale, voire extra-régionale. Au delà des migrants arrivés en Europe, il faut prendre en compte un contexte beaucoup plus large, affectant avant tout l’Afrique du Nord et subsaharienne, ainsi que l’Asie.

Au niveau régional, les personnes ayant fui par exemple l’Est libyen vers l’Egypte sont rapidement revenues en Libye après le début des frappes de l’Otan, chassant les forces de Kadhafi. Par ailleurs, au niveau extra-régional, la plupart des migrants de ce printemps libyen sont des travailleurs étrangers. Lorsqu’ils ont fui, ils sont repartis vers leur pays d’origine, c’est à dire notamment le Vietnam, la Chine, le Tchad, ou le Niger.

Ainsi, au final, le rapport est de 600 000 personnes, venues de Libye, et migrant à l’intérieur du territoire africain ou à destination de l’Asie, contre 28 000 immigrés tunisiens arrivés en Europe. L’échelle n’est pas la même. Donc lorsque les dirigeants européens craignent une vague de dizaines de milliers de migrants frappant à leurs portes, je trouve cela démesuré.

Qu’attendez-vous dès lors de la politique européenne en matière de gestion migratoire?

L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) privilégie l’approche plurielle. Certes il faut contrôler les frontières, mais l’Europe doit aussi réguler les flux en aidant les pays touchés par des crises de régime à se reconstruire un avenir. Et cela devrait passer par des partenariats de développement. Un tel système a marché en Afrique du Sud [après l’élection de Nelson Mandela, ndlr]. Cela devrait aussi fonctionner en Afrique du Nord.

Quelle est la situation des évacuations actuellement? Avez-vous besoin d’aide financière?

Actuellement, il reste à la frontière Ouest de la Libye près de 3500 personnes à évacuer. A la frontière Est, à Saloum, les personnes qui attendent sont encore 4000. Dans quelques jours, ce chiffre s’élèvera à 6000. A ces estimations, il faut rajouter les 900 000 travailleurs étrangers qui sont toujours sous contrat en Libye, et qui pourraient un jour demander à partir.

Nous avons demandé une aide d’environ 160 millions de dollars, dans le cadre du système d’appel de fonds des Nations unies. Nous avons reçu 65 millions de dollars jusqu’à aujourd’hui. Cette somme a été totalement dépensée. La tâche est donc encore immense, notamment au niveau de l’évacuation par voie aérienne. Et c’est la région de Misrata qui est actuellement la plus critique.

Mais si les financements venaient à manquer, les passeurs, notamment en Libye, pourraient profiter de la situation pour proposer aux personnes souhaitant être évacuées, des plans de sortie du territoire. A des prix peut-être plus élevés que ceux pratiqués envers les migrants Tunisiens, soit 1500 euros. Quelques arrestations de travailleurs libyens, migrants en dehors des programmes d’évacuation, ont d’ailleurs été enregistrées en Egypte il y a une quinzaine de jours.

Pauline Tissot, L’Express.fr

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