© EPA

Côte d’Ivoire : naufrage à huis clos

Combats, atrocités… Eclipsé par les soulèvements arabes, le conflit Gbagbo-Ouattara sombre dans la guerre civile.

Pendant les révoltes arabes, la tragédie ivoirienne continue. Et s’aggrave. Plus de trois mois après la vaine victoire dans les urnes d’Alassane Ouattara, le pays des Eléphants glisse à huis clos vers la guerre civile. Fin février, la commune d’Abobo, au nord d’Abidjan, a été le théâtre de combats à l’arme lourde entre insurgés et forces loyales au président sortant Laurent Gbagbo, mais aussi d’atrocités commises par des supplétifs à la solde du mauvais perdant. Pour preuve, l’assassinat par balle, le 3 mars, de sept manifestantes pro-Ouattara. A la clef, l’exode affolé de milliers de familles.

Patent dans les quartiers de Yopougon (ouest) et de Koumassi (sud), le regain de violence n’épargne pas le sud-ouest du pays, où l’ex-rébellion des Forces nouvelles (FN), bras armé du camp ouattariste, a conquis le 6 mars la ville de Toulépleu. Maints témoignages confirment en outre l’instauration dans le Grand Abidjan d’une terreur milicienne, incarnée par les Jeunes Patriotes, dévoués corps et âme à Gbagbo et qui, armés de gourdins et de machettes, dressent des barrages sauvages ou incendient maisons, échoppes et minibus. Leur chef, Charles Blé Goudé, orchestre les activités de « comités d’autodéfense », chargés d’entraver « par tous les moyens » les patrouilles de la mission des Nations unies (Onuci), accusée de complicité avec l’ennemi. Voilà peu, trois de ses agents, visés par des tirs à la tête, n’ont dû la vie sauve qu’à leur… casque bleu.

Nervosité du clan Gbagbo

Cette dérive atteste la nervosité d’un clan Gbagbo qui ne peut miser que sur ses unités spéciales – garde républicaine et Cecos -, alors même que les défections sapent l’armée « régulière », et que les FN durcissent leur riposte, au point de manier le lance-roquettes, de former des jeunes volontaires à la guérilla urbaine, et de se livrer elles aussi à des exactions. Autre facteur de fébrilité, l’étouffement financier du régime de facto, certes moins efficace qu’escompté, mais qui tend à assécher son trésor de guerre. Et ce en dépit des largesses de l’allié angolais, lequel vient de lui consentir un « prêt » d’environ 150 millions d’euros.

Le pourrissement du conflit jette une lumière crue sur les palinodies de l’Union africaine. Après l’échec de sept médiations successives, un panel de cinq chefs d’Etat, censé suggérer au 28 février des « décisions contraignantes », vient de différer l’échéance d’un mois. Tout juste a-t-il exigé « l’arrêt immédiat des tueries » et convié les deux rivaux à une réunion du Conseil de paix et de sécurité, programmée le 10 mars à Addis Abeba (Ethiopie).

L’ineptie d’un « partage du pouvoir »

Il est vrai que ce quintette est dirigé par le Mauritanien Mohamed Abdoul Aziz, putschiste galonné purifié par le suffrage universel, et qu’il compte dans ses rangs le Sud-Africain Jacob Zuma, partisan d’un « partage du pouvoir » entre les frères ennemis. Formule dont les précédents kenyan et zimbabwéen ont amplement démontré l’ineptie, et qui revient à prolonger le bail du tricheur. Cette apathie ne surprendra que les naïfs: qu’attendre d’une instance panafricaine qui vient d’élever pour un an à la dignité de président en exercice le despote équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema, parvenu au pouvoir en 1979 à la faveur d’un coup d’Etat militaire, et qui régente depuis lors d’une main de fer le petit émirat pétrolier, choyant au passage son clan familial? Pour l’anecdote, les gardes-chiourmes d’Obiang ont banni un journaliste de la radio-télévision nationale, coupable d’avoir fait allusion au soulèvement libyen… Voilà qui – sait-on jamais ? – pourrait propager la subversion à Malabo, à Abidjan et ailleurs.

Vincent Hugeux, L’Express.fr

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire