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Corruption en Afrique: « Les gens se disent qu’ils n’ont pas le choix »

Le Vif

L’ONG Transparency International présente ce mardi son Baromètre Mondial de la Corruption 2013. Pour Chantal Uwimana, directrice du département Afrique, l’ampleur du phénomène est inquiétante.

Plus d’une personne sur deux dans le monde estime que la corruption s’aggrave. C’est le constat de l’ONG Transparency International qui dévoile ce mardi son 8e Baromètre Mondial de la Corruption. L’enquête de cette année est la plus importante jamais réalisée, couvrant 114 000 personnes dans 107 pays. Si les institutions sont désignées comme premières responsables, les citoyens participent pleinement à l’accroissement du phénomène. Chantal Uwimana, directrice du département Afrique de Transparency International, dresse un tableau alarmant.

Plus d’une personne sur quatre (27% des interrogés) affirme avoir dû verser un pot de vin pour accéder à certains services publics, un chiffre assez similaire au dernier baromètre réalisé en 2011. En deux ans, rien ne semble avoir changé. La corruption est-elle devenue une routine?

Chantal Uwimana: C’est le triste constat qui ressort de notre enquête. Chez les personnes interrogées, un sentiment de fatalité s’est installé. On entend souvent dire: « C’est notre mode de vie, c’est comme ça » ou « comment on va survivre si l’on ne verse pas de pots-de-vin ? ». Dans certains pays, les gens n’ont pas le choix. En Afrique par exemple, beaucoup d’enfants ne peuvent pas aller à l’école car les parents n’ont pas les moyens de verser des pots-de-vin à l’administration pour les inscrire. Au Zimbabwe, une femme qui accouche doit payer cinq dollars à chaque fois qu’elle pousse un cri. Pour pouvoir accéder à des services aussi élémentaires que la santé, l’éducation ou même l’eau, les citoyens sont contraints de participer à une corruption qu’ils n’approuvent pas et qui leur est imposée. Ils se disent: « Si je refuse mais que les autres continuent, qu’est-ce que cela va changer ? ». La corruption, en ce sens, est une réelle atteinte aux droits civiques et économiques.

L’Afrique reste le continent le plus touché: sur les 14 pays qui présentent des niveaux de corruption supérieurs à 50% de la population, 12 sont africains. Une telle spécificité illustre-t-elle une défaillance de ces États ou un manque de volonté politique pour mettre un terme à ce phénomène?

C’est davantage un sentiment d’impunité généralisée qui est responsable de cette situation. Depuis deux ans, un grand nombre d’affaires de corruption impliquant le monde politique ont frappé de nombreux pays. Sans qu’il y ait toutefois de véritables sanctions. Cette situation renforce l’impression que ceux qui sont au pouvoir peuvent s’en sortir. Malgré les lois et les mesures mises en oeuvre, rien n’est fait pour lutter contre la corruption. De l’enseignant d’un village reculé au plus haut responsable politique, chacun se dit qu’il peut participer à la corruption sans avoir rien à craindre. Tout le monde est au courant mais personne ne veut agir.
Petite note d’espoir, vous montrez dans votre rapport que les citoyens se sentent de plus en plus concernés par la lutte contre la corruption. Par le biais de pétitions, manifestations ou encore via les réseaux sociaux, 87 % des personnes interrogées veulent s’engager contre ce fléau. Une telle prise de conscience et de telles initiatives peuvent-elles avoir un impact?

Nous le croyons, oui. Dès que des citoyens se mobilisent, comme ce fut le cas lors de la dernière élection présidentielle au Sénégal en 2012, des responsables politiques perdent leurs sièges. Les Sénégalais ont pris conscience que la corruption avait atteint des niveaux tels qu’ils ont réclamé la défaite d’Abdoulaye Wade. Mais il faut rester vigilant. La lutte contre la corruption est une épreuve quotidienne. Seules la transparence des comptes publics et une protection des lanceurs d’alerte peuvent changer les choses. Les cyniques considèrent souvent que la corruption fait partie de la nature humaine, mais la peur du gendarme peut freiner les penchants de certains. Certes, il est illusoire de dire que l’on pourra éradiquer la corruption endémique dans certains pays. Nous en sommes conscients. Mais nous devons tout faire pour passer d’une corruption généralisée à une corruption marginale.

Par Yassine Khiri

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