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Corruption à tous les étages en Russie

La Russie de Poutine selon Wikileaks est un pays gangréné par la corruption, où le gouvernement laisse la mafia accomplir ses basses oeuvres. Edifiant.

Un « Etat mafieux », corrompu jusqu’à la moelle

Les éléments rendus publics par Wikileaks concernant la corruption qui gangrène la Russie dessinent une véritable pyramide au sommet de laquelle trône Iouri Loujkov. Ou plutôt trônait: le maire de Moscou, tombé en disgrâce après 18 ans à la tête de la capitale, a été limogé cet été. Des soupçons de corruption pesaient alors sur lui et sur Elena Batourina, son épouse qui possède un empire immobilier à Moscou et une fortune estimée à 2,3 milliards d’euros selon le magazine Forbes.

Sous le roi déchu, la pyramide prospérait. D’après une note de l’ambassadeur, datée de février 2010, l’étage intermédiaire de l’édifice était le terrain de jeu des agents du FSB, du ministère des affaires internes et du bureau du procureur. Quant à la base du système, criminels ordinaires et inspecteurs corrompus pouvaient y agir selon leur bon vouloir. Le tout avec la complicité des partis politiques et du Kremlin.

Triste tableau que l’ONG Transparency esquisse déjà régulièrement. En octobre dernier, elle classait la Russie parmi les 25 pays les plus corrompus du monde, à la 154e place sur 178. Soit au même niveau que des pays comme le Kenya, le Congo et le Cambodge, et loin derrière la Colombie (78e place), l’Ethiopie (116e) et le Pakistan (143e).

L’ambassadeur américain à Moscou utilise par ailleurs le terme de « krysha » pour désigner la protection (le toit, littéralement) que ce système offrait à tous les niveaux. Un terme mafieux utilisé à dessein: la Russie, déjà décrite comme une « autocratie corrompue », est dépeinte comme un « Etat mafieux ».

L’exemple de l’affaire Litvinenko

Qui dit mafia dit élimination d’indésirables. C’est ce qui se serait passé dans le cas d’Alexandre Litvinenko, selon le procureur espagnol José Grinda Gonzalez cité dans une note diplomatique américaine datée de février 2010. Cet opposant russe avait été assassiné à Londres en novembre 2006 par empoisonnement au polonium 210, une matière hautement radioactive. Les relations russo-britanniques avaient été assombries par cette affaire.

Le gouvernement russe se sert de la mafia pour mener des opérations qu’il ne peut décemment pas conduire lui-même


De multiples théories circulent au sujet de ce meurtre, comme le rappelle El Pais, mais le procureur estime qu’il est le fait des organes de renseignement et de sécurité de l’Etat russe. Quant à savoir si Poutine lui-même savait… Vu son « souci du détail », selon un diplomate cité dans une note réalisée à Paris, il est peu probable qu’il n’en ait rien su.

Le gouvernement russe se sert de la mafia pour mener à bien des opérations qu’il ne peut « décemment pas conduire en tant que tel », de façon générale, estime le procureur espagnol José Grinda Gonzalez, qui enquête depuis des dizaines d’années sur le crime organisé russe.

Autre exemple, toujours selon cette source: la fourniture d’armes aux Kurdes pour déstabiliser la Turquie. Le procureur espagnol est également convaincu que des responsables du renseignement russe étaient derrière l’affaire rocambolesque du cargo Arctic Sea, soupçonné d’acheminer des armes à l’Iran en 2009. Pour lui, les organes officiels russes sont purement et simplement « propriétaires du crime organisé », sur le sol russe et au-delà.

Le tandem Poutine-Medvedev

Habitués à être représentés sur des poupées russes traditionnelles, les deux leaders ont revêtu dans les missives américaines les costumes colorés des héros de bande dessinée: « Dmitri Medvedev est à Vladimir Poutine ce que Robin est à Batman. » Du moins dans l’esprit d’un diplomate américain cité par Wikileaks.

Plus sérieusement, que le Premier ministre russe reste l’homme fort de la Russie, on faisait déjà plus que s’en douter. Mais ce commentaire croustillant – un parmi d’autres – vient rappeler que le président russe actuel reste en retrait, derrière son mentor.

Cet été, alors que le pays brûle, que la capitale suffoque, c’est Poutine qui joue les hommes forts sur le terrain. Un rôle évident dans les médias mais aussi en coulisses, comme le révèle un autre message diffusé par Wikileaks cette semaine: en octobre 2009, l’ambassadeur américain à Moscou John R. Beyrle écrivait que le soutien des sanctions contre l’Iran serait arbitré par Poutine et non Medvedev.

Poutine et sa fortune

Les documents rendus publics par Wikileaks reviennent aussi sur la fortune de Poutine. Des notes citées par le Guardian font référence à une société pétrolière basée en Suisse, Gunvor, via laquelle Poutine aurait mis en sécurité une coquette somme amassée de façon douteuse pendant sa présidence. En 2007, le quotidien britannique estimait ce capital à plus de 30 milliards d’euros, faisant de lui l’un des hommes les plus riches d’Europe. A la même époque, Gunvor et le Kremlin niaient tout en bloc.
D’après une note émanant du bureau de Condoleezza Rice, alors à la tête de la diplomatie américaine, si Poutine a désigné un successeur relativement malléable, ce serait bien pour protéger ses possessions et s’assurer une certaine immunité, qu’un autre « candidat » aurait pu remettre en question au fil des années.

L’ami Berlusconi

La presse commente largement l’inclination pro-américaine du président français Nicolas Sarkozy qui ressort des notes publiées par Wikileaks, mais c’est une autre amitié qui « obsède » Washington, d’après El Pais: celle qui unit Poutine au chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, ce dernier devenant presque « l’ambassadeur de Poutine en Europe », titre Le Monde.

On savait déjà que les deux hommes s’appréciaient, se retrouvaient notamment à Sotchi ou en Sardaigne ou s’offraient des cadeaux (comme un lit offert par le dirigeant russe à son ami italien). Mais « l’axe Rome-Moscou » a fini par inquiéter les Etats-Unis, comme le commente l’ambassadeur américain en Italie Ronald Spogli dans le Corriere della Sera.

Surtout lorsque cette amitié a des conséquences, par exemple, sur les relations entre le géant italien de l’énergie ENI et le russe Gazprom, et sur le dossier South Stream qui mine l’indépendance énergétique de l’Union européenne.

Un espoir d’amélioration?

L’éviction du maire de Moscou, Iouri Loujkov, qui semble incarner un système qui gangrène la Russie d’après les notes divulguées cette semaine, signifie-t-elle qu’une évolution soit en cours? On peut en douter. D’après le Guardian, son limogeage serait moins dû aux soupçons de corruption… qu’au bras de fer engagé avec le pouvoir fédéral. Et que l’édile a visiblement perdu.

Ajoutant au tableau déjà déprimant d’un Etat russe corrompu au dernier degré, le New York Times estime que « même un homme comme Poutine, avec sa volonté de fer, ne pourrait lutter contre la nature de cet Etat post-soviétique marqué par une économie inefficace, une bureaucratie ingérable, le cynisme et la corruption ».

Marie Simon

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