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Corée du Nord: pourquoi la Chine ne bougera pas (ou alors, pas tout de suite)

Le Vif

Pékin soutient le régime de Pyongyang, sans pour autant contrôler son encombrant voisin. Les dirigeants chinois semblent exaspérés par Kim Jong-un et sa dictature d’un autre âge, mais leur appui restera intact. Voici pourquoi.

La Chine est le grand allié de la Corée du nord, son plus gros partenaire commercial et son principal pourvoyeur d’aide humanitaire, d’armes et d’hydrocarbures. Pékin tient à bout de bras le régime de Kim Jong-un et s’est souvent opposé aux sanctions internationales imposées contre Pyongyang. Pour autant, le régime chinois ne contrôle pas son encombrant voisin. Pourquoi, alors, persiste-t-il à le soutenir?

La première explication relève de la géographie. Une frontière terrestre longue de 1300 kilomètres sépare les deux pays (le triple de la ligne qui sépare la France de l’Allemagne). A Pékin, logiquement, beaucoup redoutent qu’une chute de la dictature de Pyongyang provoque une marée humaine de réfugiés pauvres et affamés, dans une région située à moins de 1000 kilomètres de la capitale chinoise. Cette crainte n’est pas infondée.

Pour un Nord-Coréen, la situation n’est plus aussi terrible qu’au milieu des années 1990, quand une famine a tué, selon certaines estimations, près de un habitant sur 10. Mais le niveau de vie moyen reste très bas: il était évalué au 197e rang mondial en 2011, quelque part entre ceux du Sénégal et du Kenya. Or la Corée du nord n’est pas en Afrique, mais dans une Asie du Nord-Est en pleine croissance, et ses habitants sont de mieux en mieux informés, malgré la censure qui règne chez eux, sur la prospérité florissante des pays qui les entourent…

Les barbelés qui séparent désormais les territoires des deux Etats ne suffiront sans doute pas à décourager des centaines de milliers de Nord-coréens: ceux-ci n’auront rien à perdre, d’autant que la région frontalière est peuplée, côté chinois, de nombreuses familles originaires de Corée.

Des facteurs historiques

Toutes ces considérations jouent un rôle important, mais d’autres raisons, plus fondamentales, expliquent le soutien de Pékin à Pyongyang. Elles sont historiques, d’abord. La Chine appuie la Corée du Nord depuis 1950, quand 700 000 Chinois, « volontaires » ou soldats de l’Armée populaire de libération, ont combattu au côté de leurs camarades du Nord, lors de la guerre de Corée. Plus de 100 000 d’entre eux, dont le fils ainé de Mao Zedong, y ont laissé la vie.

Depuis lors, Pékin n’a cessé de fournir un appui politique et économique aux leaders de Pyongyang: Kim Il-sung (1912-1994), son fils Kim Jong-Il (1941-2011) et le fils de ce dernier, Kim Jong-un (né en 1983). Car l’existence de la Corée du nord offre à Pékin un « Etat tampon » entre la Chine et la Corée du sud, démocratique et alliée à Washington, où restent stationnés près de 30 000 soldats américains. Vu de Pékin, il a toujours semblé impensable que l’Etat chinois partage une frontière terrestre avec un pays accueillant, sur son territoire, des troupes des Etats-Unis.

Ce raisonnement est-il toujours valable? Oui et non. Depuis quelques années, un débat agite les milieux militaires et intellectuels de Pékin. Exaspérée par les provocations de Pyongyang -nucléaires, en particulier- une partie du leadership chinois se résoudrait à la disparition de la Corée du Nord et à la réunification de la péninsule, sous les auspices de Séoul. Avec plus ou moins de discrétion, plusieurs officiels chinois ont déjà précisé leurs conditions à des diplomates étrangers; la Chine exigerait, en particulier, que les troupes américaines stationnées dans la péninsule restent au sud de l’actuelle frontière et renoncent à se déployer vers le Nord. Une demande acceptable, semble-t-il, aux yeux de Washington.

Pour la Chine, cette prise de distance est aussi une façon de prendre acte d’une réalité désagréable: Pékin n’est guère payé en retour pour son soutien économique et diplomatique à Pyongyang. A elle seule, pourtant, la Chine fournit 90% des approvisionnements énergétiques de la Corée du nord, 80% de ses produits manufacturés et 45% de ses besoins alimentaires. Malgré tous ses efforts, pourtant, la Chine ne parvient pas à contrôler la Corée du nord, qui se méfie de son voisin géant et veut échapper à sa tutelle exclusive.

La stratégie du sale gosse

Ce dernier point constitue, à lui seul, l’une des principales clés du comportement de Pyongyang: en multipliant les provocations, le régime nord-coréen cherche à attirer vers lui d’autres bailleurs de fonds -Corée du sud, Etats-Unis, Nations Unies… Née dans les années 1990, cette conduite, souvent assimilée à du chantage, ne lui a pas mal réussi. C’est celle du sale gosse dans une salle de classe, qui se croit protégé… Les protections de ce genre ne sont pas garanties à vie; qu’en sera-t-il de la relation entre Pékin et Pyongyang?

Depuis quelque temps, l’impatience de Pékin à l’égard de Pyongyang apparaît au grand jour. D’abord, le ministère chinois des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur de Corée du nord, en février, pour protester contre le troisième essai nucléaire. Puis, le 7 mars, Pékin a approuvé l’adoption de nouvelles sanctions des Nations Unies contre Pyongyang, laissant entendre qu’elles seraient appliquées avec plus de zèle que lors des épisodes précédents.

Dimanche 7 avril, enfin, alors que Pyongyang multipliait les menaces d’attaque nucléaire contre Washington, le nouveau président chinois, Xi Jinping, a estimé, sans nommer la Corée du nord, qu’aucun pays « n’a le droit de précipiter dans le chaos une région, et à plus fort le monde entier, par égoïsme ». Deux jours plus tôt, le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, avait été plus précis: « Nous sommes opposés aux discours et aux actes provocateurs de la part de n’importe quel acteur de la région, et nous n’autoriserons pas les fauteurs de troubles aux portes de la Chine. »

Un changement de tonalité ne traduit pas, à lui seul, un virage politique. Nul doute que l’orthodoxie chinoise à l’égard de la Corée du Nord reste bel et bien en vigueur. Mais le régime chinois prend ses précautions, et élabore un plan B. Car les dictatures n’ont qu’un temps. Les dirigeants de Pékin sont bien placés pour le comprendre.

De notre envoyé spécial, Marc Epstein,

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