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Corée du Nord : les États-Unis vont-ils vraiment utiliser leur capacité nucléaire ?

Muriel Lefevre

La tension semblait déjà à son comble. Pourtant, ce dimanche, elle est encore montée d’un cran avec un nouvel essai nucléaire du côté coréen. La réponse musclée de la Maison-Blanche ne s’est pas fait attendre. Elle se dit prête à utiliser ses capacités nucléaires. Alors, réel point de non-retour ou nouveau tour de chauffe ? Le point sur la question.

Le régime de Pyongyang a réalisé dimanche un 6e test nucléaire, une bombe à hydrogène (ou bombe H) qui a provoqué une déflagration d’une ampleur qui n’avait pas été atteinte lors des précédents essais.

Selon des spécialistes sud-coréens, cette fois, la puissance était cinq à six fois supérieure à celle du précédent essai, effectué en septembre 2016. « Une réussite parfaite », selon la télévision nord-coréenne. Le pays a lancé son premier essai nucléaire en 2006. Il avait également fait un quatrième essai en janvier 2016 ou Pyongyang avait déjà annoncé avoir testé avec succès la bombe H. Cependant, au vu de la faible puissance détectée de l’explosion (six kilotonnes), les experts avaient mis en doute ces déclarations.

La Corée du Nord n’est pas le seul pays à faire des « essais »

La bombe H, basée sur le principe de la fusion nucléaire, libère une énergie supérieure aux températures et aux pressions régnant au coeur du soleil. Les États-Unis l’ont testée le 1er novembre 1952 et l’URSS un an après.

La plus grosse bombe H à avoir jamais explosé, lors d’un essai soviétique en octobre 1961, avait une puissance de 57 mégatonnes, théoriquement près de 4.000 fois plus que la bombe larguée sur Hiroshima. Aucune bombe H n’a à ce jour été utilisée en dehors de tirs d’essai. Pour rappel, la bombe A, communément appelée « bombe atomique » et qui a été larguée sur Hiroshima et Nagasaki en 1945 est moins puissante que la bombe H. Elle utilise le principe de la fission nucléaire.

La France aussi a fait des essais nucléaires. Deux cent dix essais ont été menés entre 1960 et 1996, d’abord dans le désert algérien puis en Polynésie française.

Selon des spécialistes sud-coréens, cette fois, la puissance était cinq à six fois supérieure à celle du précédent essai, effectué en septembre 2016. « Une réussite parfaite », selon la télévision nord-coréenne qui a lancé son premier essai nucléaire en 2006. Le pays avait également fait un quatrième essai en janvier 2016 ou Pyongyang avait déjà annoncé avoir testé avec succès la bombe H. Cependant, au vu de la faible puissance détectée de l’explosion (six kilotonnes), les experts avaient mis en doute ces déclarations.

Le Japon et la Chine n’ont pas détecté dans leur environnement de substances radioactives provenant de cet essai nucléaire qui n’aura donc pas eu d’effet sur l’environnement ni sur la population de ces deux pays. Les craintes d’échappement de substances radioactives avaient pourtant été renforcées par le fait qu’une deuxième secousse a été enregistrée après celle liée à l’explosion, séisme artificiel attribué à un « affaissement » à proximité du site de test.

Toujours selon Pyongyang, cette bombe pourrait être installée sur son nouveau missile intercontinental. L’essai marquait « une occasion très importante, le fait d’atteindre le but final qui est de parachever la force nucléaire de l’Etat ».

Les Nord-Coréens regardant le
Les Nord-Coréens regardant le « JT »© Reuters

La énième provocation de trop

Ce test pourrait bien être le dernier, une ultime démonstration de force. « Je pense que le Nord a atteint le stade où il n’a plus besoin de procéder à des essais. Davantage d’essais n’auraient aucun sens », a dit à l’AFP Koo Kab-Woo, professeur à l’Université des études nord-coréennes de Séoul. Il souligne que le Pakistan, dont le programme nucléaire serait lié à celui de la Corée du Nord, a effectué six essais nucléaires au total et n’a peut-être pas trouvé nécessaire d’en faire d’autres. « Si nous prenons l’exemple du Pakistan, le Nord pourrait en être aux étapes finales », ajoute-t-il. Pour Cha Du-Hyeogn de l’Institut Asan des études politiques de Séoul, le Nord a fait une ultime démonstration de force avec l’essai d’une bombe H et veut que les États-Unis croient ce qu’il dit. « Tous les essais technologiques peuvent être interprétés comme un jeu de poker », dit-il. « Vous voulez que votre adversaire interprète votre coup comme vous le souhaitez ».

Pourquoi les Nord-Coréens ne se révoltent-ils pas en masse ?

Le peuple est particulièrement docile. Même en sachant qu’il est presque impossible de fuir le pays. C’est dû au fait que les habitants sont endoctrinés depuis leur plus jeune âge et ce jusqu’à leur mort. L’idéologie du pays ne laisse pas de place à la libre pensée. Elle est basée sur le Juche, idéologie autocratique développée par le président Kim Il-sung, qui mêle marxisme, maoïsme et confucianisme. Par ailleurs, le peuple a une mentalité de guérilla chère aux communistes. Les Nord-coréens semblent aussi souffrir d’un complexe de Massada soit la hantise de se retrouver acculés par l’ennemi, dans une situation désespérée. Chaque heure de chaque jour, où qu’ils soient, on leur rappelle que leur pays est menacé de tout côté par les laquais du sud et les USA. Ils vivent dans la peur perpétuelle que les Américains soient sur le point de les attaquer. C’est aussi du même coup l’argument principal pour lui permettre de développer son armement nucléaire au détriment de la prospérité de son peuple.

Les analystes sont divisés pour savoir si de nouvelles provocations du Nord pourraient suivre l’essai de dimanche ou bien s’il pourrait permettre l’ouverture d’un dialogue.

Pyongyang a effectué en juillet deux essais réussis d’un missile balistique intercontinental ou ICBM, le Hwasong-14, censés mettre le territoire américain à portée de ses frappes. Mais des interrogations subsistent sur la fiabilité du missile et la capacité nord-coréenne à maîtriser la technologie du retour dans l’atmosphère d’une tête nucléaire. Pyongyang, qui doit aussi prouver qu’il a réussi à miniaturiser la charge, pourrait lancer un autre ICBM ces prochains mois, estime M. Cha. Le Nord pourrait aussi déployer son nouvel arsenal tout en cherchant une ouverture diplomatique avec Washington, pense le politologue Yoo Ho-Yeol, professeur à l’Université de Corée à Séoul. Ce déploiement interviendrait « au moment le plus propice pour maximiser son impact diplomatique », dit-il à l’AFP. Pyongyang cherchera à faire reconnaître son statut de puissance nucléaire au sein de la communauté internationale, estime Go Myong-Hyun, chercheur à l’Institut Asan des études politiques.

La punition la plus forte

Le président sud-coréen Moon Jae-In a réclamé « la punition la plus forte » contre Pyongyang, notamment via de nouvelles sanctions dans le cadre de l’ONU. 28 500 militaires américains sont stationnés en Corée du Sud. Un pays qui, rappelons-le, interdiction de développer un programme nucléaire militaire suite à un accord conclu en 1974 avec les États-Unis et qui s’engagent en retour à la protéger.

Les États-Unis n’excluent pas d’utiliser leurs forces nucléaires pour riposter à une éventuelle menace

Si la Corée du Nord joue une partition connue, l’incertitude est totale quant au comportement du président américain. Son entourage met en avant la nécessité de la diplomatie, mais le président Trump a évoqué maintes fois l’option militaire pour mettre un coup d’arrêt aux programmes nucléaire et balistique nord-coréens. Il vient à nouveau de menacer Pyongyang d’une « réponse militaire massive » au cas où elle menacerait leur territoire ou celui de leurs alliés. La Maison-Blanche a par ailleurs indiqué, dans son compte rendu d’un entretien du président Donald Trump avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe, que les États-Unis n’excluaient pas d’utiliser leurs capacités nucléaires en cas de menace nord-coréenne. Le général Jim Mattis est lui aussi monté en première ligne en adressant une mise en garde solennelle au régime de Kim Jong-Un, tout en l’appelant à entendre les injonctions de la communauté internationale. « Toute menace visant les États-Unis ou ses territoires, y compris Guam (dans le Pacifique, ndlr), ou ses alliés, fera l’objet d’une réponse militaire massive ». Il a cependant souligné que les États-Unis ne recherchaient pas « l’anéantissement total » de la Corée du Nord.

Donald Trump
Donald Trump © REUTERS

Option militaire risquée

M. Trump, qui a dénoncé « des actions dangereuses pour les États-Unis », a laissé planer le doute sur ses intentions. A un journaliste qui lui demandait s’il envisageait une réponse militaire, le président américain a répondu: « Nous verrons ». « La Corée du Sud s’aperçoit, comme je le leur ai dit, que leur discours d’apaisement avec la Corée du Nord ne fonctionnera pas, ils ne comprennent qu’une chose! », a lancé M. Trump sur Twitter à l’intention de son homologue sud-coréen Moon Jae-In, partisan d’un dialogue avec le régime de Kim Jong-Un. Mais pour de nombreux experts, le nouvel essai nord-coréen ne change pas fondamentalement l’équation américaine.

Une frappe militaire contre le régime de Pyongyang reste extrêmement risquée, car elle pourrait provoquer une réaction en chaîne et un grave conflit régional. « Il n’y a pas d’option militaire réaliste s’il s’agit de frapper la Corée du Nord, car cela provoquerait probablement une guerre à grande échelle », estime auprès de l’AFP Mark Fitzpatrick, directeur exécutif pour l’Amérique de l’International Institute for Strategic Studies.

Le régime de Kim Jong-Un a notamment amassé des unités d’artillerie à la frontière avec la Corée du Sud, à seulement 55 kilomètres de Séoul. Le risque principal serait un embrasement entre les deux Corées après une frappe américaine et la menace d’un conflit régional. « Avant que tout le monde s’affole, un test nucléaire par la Corée du Nord est un développement inquiétant, mais il ne change pas la nature du défi auquel nous sommes confrontés », estime de son côté Jon Wolfstahl, du Carnegie Endowment for International Peace. « Un tel test n’appelle pas une réponse militaire, ce qui est bien parce que nous n’avons pas d’options viables », a-t-il ajouté sur Twitter.

Corée du Nord : les États-Unis vont-ils vraiment utiliser leur capacité nucléaire ?
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S’ils ne frappent pas, les Américains peuvent accroître la pression militaire sur Pyongyang. Avant même le dernier essai nucléaire nord-coréen, les présidents américain et sud-coréen s’étaient entendus pour renforcer les capacités de Séoul en matière de missiles, une manière d’augmenter ses moyens de dissuasion. « Les options militaires viables incluent des initiatives telles que le déploiement de nouveaux moyens dans la région », note Mark Fitzpatrick. « Il faut noter que la Corée du Sud veut maintenant réfléchir au redéploiement d’armes nucléaires tactiques » sur son territoire, ajoute-t-il. « Ce serait très compliqué, mais cela peut faire partie des options envisagées ».

Les Américains avaient retiré, il y a 25 ans, toutes leurs armes nucléaires déployées en Corée du Sud. Pour Koo Kab-Woo, spécialiste de la Corée du Nord à l’Université de Séoul, « la Corée du Nord continuera son programme d’armes nucléaires à moins que les États-Unis ne proposent des discussions ».

Il reste les sanctions économiques

C’est la piste sur laquelle l’administration américaine insistait dimanche à Washington, dans le but d’isoler économiquement Pyongyang. « Les États-Unis examinent la possibilité, en plus d’autres options, de mettre fin à tous les échanges commerciaux avec tout pays faisant des affaires avec la Corée du Nord », a déclaré Donald Trump sur Twitter. Steven Mnuchin, le secrétaire au Trésor, a indiqué plus tôt dans la journée qu’il préparait une série de sanctions à l’intention du président américain. Il a déclaré vouloir travailler avec les alliés des États-Unis et avec la Chine, qui est destinataire de 90% des exportations nord-coréennes. Les États-Unis ont commencé à prendre des sanctions bilatérales contre quelques entités chinoises ou russes qui ont des relations d’affaires avec la Corée du Nord. Le 22 août, 10 entreprises et 6 individus ont ainsi été sanctionnés par le Trésor américain.

Les États-Unis sont aussi à l’initiative du dernier train de sanctions de l’ONU contre la Corée du Nord, adopté le 6 août à l’unanimité, avec donc le soutien des Chinois et des Russes. Cette septième série de sanctions vise à priver la Corée du Nord d’un milliard de dollars de recettes commerciales provenant de la pêche, du charbon et du fer. L’étape supplémentaire, à l’ONU, pourrait être un embargo pétrolier, total ou partiel, contre la Corée du Nord. Autre option évoquée par Londres à l’ONU: des sanctions qui pousseraient la Russie et la Chine à renvoyer en Corée du Nord ses travailleurs expatriés, source d’importants revenus pour les autorités nord-coréennes. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit se réunir lundi à 14H00 GMT.

Les exercices annuels conjoints américano-sud-coréens ne manquant jamais de provoquer un pic de tensions

Quoi qu’il en soit, ce test est considéré comme une nouvelle provocation de la Corée du Nord qui s’est attiré de vives condamnations de la communauté internationale (voir encadré). Pourtant, le dernier essai nucléaire nord-coréen en date s’est déroulé au terme d’une trajectoire bien rodée depuis juillet : des provocations croissantes accompagnées de dénonciations furieuses des exercices militaires annuels conjoints entre Séoul et Washington que le régime considère comme la répétition d’une invasion.

Certains médias occidentaux prennent plaisir à dépeindre les dirigeants nord-coréens comme irrationnels, voire fous. Mais les spécialistes estiment que le régime fait montre de capacités remarquablement raffinées de calibrage et de timing pour maximiser la portée de ses actions. Plus de 60 ans après la fin de la guerre de Corée (1950-53), la Corée du Nord, qui est un pays pauvre, se sert de la menace supposée représentée par les États-Unis pour justifier son programme d’armements nucléaires.

Voici douze jours, Washington jugeait que Pyongyang faisait preuve de « retenue » et évoquait la perspective d’un dialogue. Depuis lors, la Corée du Nord a tiré trois missiles à courte portée, envoyé un projectile au-dessus du Japon et fait exploser ce qui semble être une bombe H.

Des réponses au lancement le 21 août des exercices militaires annuels dits « Ulchi Freedom Guardian » auxquels participaient des dizaines de milliers de soldats sud-coréens et américains.

La Chine, accusée par Donald Trump de ne pas en faire assez pour refréner les ambitions militaires de son voisin et allié, prône, elle, un compromis: l’arrêt des essais nucléaires et balistiques nord-coréens en échange de celui des exercices, ce que rejettent catégoriquement Séoul et Washington.

L’essai nord-coréen est « profondément déstabilisant » et constitue « un nouveau manquement sérieux aux obligations internationales » de Pyongyang a de son côté estimé le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à la veille d’une réunion du Conseil de sécurité consacrée à la question.

Moscou, Tokyo, Séoul et Paris n’ont pas non plus tardé à condamner cette nouvelle violation de multiples résolutions de l’ONU exigeant la fin des programmes nucléaire et balistique nord-coréens.

Dès l’annonce d’un séisme imputé à une probable « explosion » en Corée du Nord, le Premier ministre nippon Shinzo Abe a déclaré ce nouvel essai nucléaire « absolument inacceptable ». Le président sud-coréen Moon Jae-In a de son côté demandé d’infliger « la punition la plus forte » contre Pyongyang, notamment via de nouvelles sanctions dans le cadre de l’ONU afin d' »isoler complètement la Corée du Nord ».

Lui faisant écho, le président français Emmanuel Macron a appelé la communauté internationale à réagir « avec la plus grande fermeté ». M. Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, rejoints par le Premier ministre italien Paolo Gentiloni, sont favorables à « un durcissement » des sanctions de l’UE contre Pyongyang, à l’heure où la « dernière provocation en date » du régime nord-coréen a « atteint une nouvelle dimension », a précisé Berlin. A l’inverse, Moscou, tout en condamnant « le mépris » manifesté par Pyongyang pour les résolutions onusiennes, a surtout lancé un appel à la retenue, jugeant « impératif de rester calme et d’éviter toute action qui conduirait à une nouvelle escalade ».

Le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson a estimé qu’il « restait une marge de manoeuvre à la Chine pour accroître la pression sur les Nord-coréens », tout en prévenant: « Aucune des options militaires n’est bonne ».

La chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a de son côté fustigé « une provocation majeure » et appelé le Conseil de sécurité à « adopter une position ferme et efficace ».

Parmi les organisations internationales, l’Otan s’est dite « inquiète du caractère déstabilisant de l’attitude de Pyongyang, qui menace la sécurité régionale et internationale ».

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