Dans les rues de Pyongyang, vitrine d'une relative prospérité. © E. JONES/AFP

Corée du Nord: le grand combat de Pyongyang

En Corée du Nord, le régime semble insensible aux sanctions internationales : il multiplie les tirs de fusée, lance de grands chantiers et promet des lendemains qui chantent. A l’écart des villes, pourtant, la faim rôde.

Et maintenant, la Lune. L' » instruction  » donnée en août par le leader nord-coréen Kim Jong-un est claire : les scientifiques de l’agence spatiale nord-coréenne (Nada) doivent mettre au point une fusée pour acheminer avant 2026 un homme vers le satellite de la Terre, afin d’y planter le drapeau de la République populaire démocratique de Corée (RPDC).

A voir les progrès du savoir-faire local, l’annonce pourrait presque sembler réaliste. Un nouveau moteur de fusée a été testé, le 19 septembre dernier, et, selon l’agence de presse officielle KCNA, il pourrait  » équiper une fusée capable d’emporter un satellite géostationnaire « . A en croire la propagande, trois engins sont déjà en orbite.

Au-delà des frontières de la Corée du Nord, en revanche, de nombreux experts attribuent d’autres projets au régime de Pyongyang. Ne serait-il pas en train de peaufiner sa technologie de missiles balistiques intercontinentaux, avec pour ambition de les doter d’ogives nucléaires ? Dix jours avant le récent test, un cinquième essai nucléaire nord- coréen a suscité de vives condamnations internationales. Et les observateurs redoutent déjà un nouveau coup d’éclat…

De fait, les sanctions internationales imposées à la Corée du Nord ne freinent guère les progrès de sa technologie spatiale.  » Voilà des décennies que l’on nous impose des sanctions, note avec un soupçon d’ironie un diplomate nord-coréen rencontré à Pyongyang. Nous y sommes habitués.  » Leur effet limité s’explique, notamment, par la dépendance de l’économie nord-coréenne à l’égard de la Chine, son alliée traditionnelle, qui représente à elle seule 90 % de ses échanges. Or, Pékin utilise aussi les sanctions à des fins politiques : peu après l’essai nucléaire de janvier, la Chine a réduit ses importations nord-coréennes de charbon et de fer… avant de les augmenter de près de 30 %, sept mois plus tard, à la suite de l’annonce en juillet du déploiement du bouclier américain antimissile THAAD en Corée du Sud. Un projet vivement critiqué par Pékin.

A arpenter les rues de la capitale sous le soleil d’automne, les sanctions paraissent bien loin… Au contraire, les affaires semblent se porter à merveille. Des jeunes femmes aux coupes de cheveux influencées par le célèbre groupe  » pop  » féminin Moranbong, un téléphone portable vissé à l’oreille, font leurs emplettes au supermarché du quartier de Kwangbok, ouvert en janvier 2012, où elles trouveront des vêtements à la mode comme des bouteilles de vins italiens. Plus de trois millions de téléphones portables étaient en circulation en 2015.

Magasins et restaurants fleurissent dans la capitale nord-coréenne. Une pizzeria a ouvert dans le quartier Mirae (Futur) inauguré en 2015, ainsi qu’une brasserie allemande non loin de la tour du  » Juche « , l’idéologie locale, qui signifie dans son acception politique  » compter sur ses propres forces « . L’usage des devises étrangères est en principe interdit, mais les habitants n’hésitent pas à payer en dollars.

Comme autrefois le Pékin de Mao ou le Moscou de Staline, la ville de Pyongyang est la vitrine des évolutions en cours et reste le fer de lance de la mise en oeuvre des directives officielles. A chaque coin de rue, des affiches rappellent que le pays est engagé dans un  » combat de 200 jours  » depuis le 7e congrès du Parti du travail organisé en mai. Ce congrès, le premier en trente-six ans, a fixé de nouvelles priorités, marquées par le  » byungjin noson « , une  » ligne du parallélisme  » affirmée en 1962 par le premier dirigeant Kim II-sung (1912-1994) et reprise par son petit-fils Kim Jong-un, leader depuis 2011. Elle accorde la même importance au développement économique qu’au renforcement de la défense.

En pratique, le  » combat  » impose aux Nord-coréens – en particulier aux militaires chargés des grands travaux – de travailler sept jours sur sept. Ainsi, le 15 septembre dernier, alors que le pays célébrait les ancêtres lors de la traditionnelle fête du  » Chuseok  » (fête des récoltes), les troupes s’activaient sur le chantier du nouvel ensemble Ryomyong, qui doit compter un immeuble de 70 étages –  » Le plus haut de notre république « , clame le média officiel DPRK Today.

Autre tendance du moment, réduire au maximum les importations. Les magasins de Pyongyang proposent beaucoup plus de produits locaux qu’autrefois, des gâteaux de l’entreprise Kumkup aux crèmes de beauté de la société Korean Cosmetics, basée à Sinuiju (côte ouest).

Le changement… sans le changement

La RPDC est entrée  » dans une phase de profonde transformation économique et sociale, sans pour autant que son régime change de nature « , souligne Philippe Pons, auteur d’un ouvrage de référence, Corée du Nord, un Etat-guérilla en mutation (éd. Gallimard, 2016).  » La société n’en évolue pas moins sous l’effet de la dynamique d’une économie de facto de marché, dans laquelle la ligne de partage entre secteur public et initiative privée devient de plus en plus floue « , ajoute-t-il. Selon les estimations de la CIA, l’économie parallèle représenterait de 30 à 50 % du PIB. Mais les effets du dynamisme affiché restent difficilement vérifiables ; Pyongyang et, dans une moindre mesure, les villes frontières semblent de simples îlots de relative prospérité.

A la campagne, les chariots tirés par des boeufs sont la norme. On croise aussi quelques tracteurs traînant leur demi-siècle d’âge sur des routes défoncées, remblayées ici et là avec des caillasses brisées à la masse. L’électricité est rare.

D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), plus de 4 habitants sur 10 seraient en état de sous-nutrition : les rations quotidiennes distribuées par le gouvernement ne dépassaient pas 360 grammes au deuxième trimestre, contre 410 grammes à la même période l’année dernière. L’organisme onusien a fixé un objectif de 600 grammes par jour… Outre les problèmes climatiques – dont deux sécheresses en 2016 -, l’agriculture pâtirait de la surexploitation des sols et de l’usage trop abondant des engrais chimiques.

Les inégalités grandissantes entre le centre et ses périphéries alimenteraient déjà des tensions. A Pyongyang, un représentant du régime voit dans la prospérité  » l’avant-garde de la société vers laquelle nous nous dirigeons « . Philippe Pons, lui, relève un profond  » ressentiment à l’égard des privilégiés et des agents d’un système rongé par la vénalité « .

De notre envoyé spécial Philippe Mesmer.

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