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Continuer à travailler lorsqu’on est malade: un acte courageux ou antisocial ?

Muriel Lefevre

La ministre française déléguée à la Famille Dominique Bertinotti a annoncé vendredi dernier qu’elle avait été atteinte d’un cancer du sein. Si dans un premier temps ce ne fut que louanges et admiration, quelques critiques commencent à fuser.

Entre les débats à l’Assemblée nationale, les conseils des ministres et son travail au ministère, Dominique Bertinotti a enchaîné les rendez-vous chez le médecin, une opération et la chimiothérapie. Pour la première fois, elle a dévoilé au Monde son cancer du sein, dont elle vient de guérir. Elle a gardé secrète sa maladie pendant plus de huit mois. François Hollande, le seul au courant, a respecté la discrétion de sa ministre. « On verra d’un coup ses cheveux très courts », écrit Le Monde. Car la ministre va enlever la perruque qu’elle porte depuis plusieurs mois. « Un politique malade est un malade comme les autres. À ceci près qu’il est constamment sous les regards », souligne le quotidien. Pendant tout ce temps, elle a gardé le silence pour ne pas « être réduite à un cancer », explique-t-elle. « Je voulais bien être une ministre malade, pas une malade ministre. » Si Dominique Bertinotti s’est décidé à parler, c’est pour « qu’il y ait moins de peur, plus de compréhension. Pour qu’on réfléchisse sur les inégalités face au coût des traitements de confort, comme le vernis spécial pour les ongles ou la perruque, qui sont si importants. », explique-t-elle.

Dominique Bertinotti a-t-elle eu raison de continuer à travailler malgré la maladie?

Ou est-ce que cela fait passer un mauvais message et induit une certaine culpabilité chez les patients qui choisissent de ne pas le faire ? Pour Amélie Bertin-Mourot qui dirige l’association Étincelle, rester femme avec un cancer trouve formidable que la ministre dévoile son cancer. « Des personnalités du show-business avaient déjà eu la même démarche, mais, là, elle lève un tabou: elle a continué à travailler, avec, j’imagine à ce poste, un rythme très soutenu ». Pour elle, continuer à travailler est une décision personnelle. « Si leur travail peut les aider à affronter la maladie, elles ont tout intérêt à continuer à travailler. En outre, le fait qu’elle soit à un poste important a pu jouer. Souvent les personnes haut-placées ont plus de facilités à adapter leur emploi du temps à leur traitement. Contrairement à ce que l’on pense, lorsque l’on fait de la chimiothérapie, la fatigue n’est pas un état permanent. Vous êtes très fatigué le lendemain d’une séance, elle pouvait peut-être s’arranger pour ne pas travailler à ce moment-là. Je ne sais pas comment elle a géré tout cela, mais ce qui est sûr, c’est que si elle était trop atteinte, trop fatiguée, elle n’aurait pas pu continuer. »

Après l’émotion, le doute

Après l’émotion d’autres voix s’élèvent pour dénoncer le fait que la ministre a continué à travailler alors que cette dernière était malade. Donnant là, pour certains, un mauvais message qui risquerait de culpabiliser les malades qui restent chez eux. À tous ceux qui n’ont pas, comme elle, la force de continuer à travailler ni la possibilité de cacher les traces de la maladie. Ne contredit-elle pas un des droits fondamentaux qui consiste à être protégé par les droits du travail lorsqu’on est plus en état d’exercer son activité professionnelle. Étrangement, le cas Rachida Dati s’est immiscé dans le débat. Elle qui avait choqué bon nombre de femmes en se pointant 5 jours après son accouchement, pimpante et sur hauts talons.

Le cas est moins dramatique,mais il avait tout autant agité la société française. Car en refusant d’exercer son droit au congé maladie, Rachida Dati avait alors donné l’impression de renier des droits pour lesquels beaucoup se sont battus et dont beaucoup bénéficient. Si certains ont traduit le « on peut avoir un cancer et travailler » en un « on doit travailler même quand on a un cancer », ce n’est probablement pas le message de la ministre qui avoue avoir trouvé de la force et du courage dans le fait de continuer à travailler. Si ce témoignage renforce l’idée du « beau malade », chacun est différent devant le cancer. La maladie étant quelque chose de si personnel qu’on ne peut décemment pas en faire des généralités.

Ces autres hommes politiques français qui ont caché leur maladie

Pompidou et ses « simples grippes »

Le 2 avril 1974, Georges Pompidou meurt. Le président de la République s’éteint deux ans avant la fin de son mandat à l’Elysée. La France découvre qu’il était bien plus affaibli qu’il n’y paraissait. Certes, sa silhouette s’était épaissie, son visage semblait bouffi. La faute aux corticoïdes. Mais ce que les Français ignoraient, c’est que le chef de l’Etat souffrait d’une forme rare de leucémie,la maladie de Waldenström.

Diagnostiqué « probablement quelques mois après sa prise de fonctions » en 1969, Georges Pompidou présentait déjà quelques symptômes dès le mois de mai 1968 et « avait dû suivre un traitement de vitamines et de corticoïdes », raconte Libération. Mais officiellement, la présidence a toujours parlé de « simples grippes ». Entre les rémissions, il rechute. Toujours ces « grippes à rechutes ». « Ce qui me fatigue, ce n’est pas la maladie, mais le traitement », assure-t-il à ceux qui s’inquiètent de sa santé. Des rumeurs courent à partir de 1972. Notamment entretenues par des confidences du président lui-même… Son dernier Premier ministre, Pierre Messmer, raconte à L’Express en 2004: « A mon arrivée à Matignon (mi-1972), je lui demande, selon la tradition, une photo personnelle de lui, dédicacée. Quand je reçois le cliché, pris quelque temps plus tôt, et que je le compare avec l’homme qui est en face de moi chaque mercredi au Conseil, je me dis qu’il est malade. Trois ou quatre mois plus tard, il me confie: ‘Je souffre d’une maladie rare et bien compliquée’. » Une maladie sans nom. Il faut attendre 1982 pour que sa veuve, Claude Pompidou, la nomme publiquement.

Je souffre d’une maladie rare et bien compliquée

Le cas de conscience se pose de façon de plus en plus aigüe pour son entourage, au fil des mois. En 2004, Pierre Messmer assure à L’Express que si la santé du président avait un impact concret sur sa charge de travail, Georges Pompidou n’a « perdu sa lucidité (…) qu’à la toute fin, à partir du vendredi 29 mars ». Ainsi répond-il qu’il va « mieux » au secrétaire général du gouvernement Edouard Balladur… lors de leur ultime conversation, alors même que ce dernier cherche les mots pour lui dire qu’il lui faut quitter le pouvoir.
Dans son ouvrage paru récemment chez Fayard, La Tragédie du pouvoir, Edouard Balladur, quasiment « président par interim » lors des derniers mois de Georges Pompidou, décrit d’ailleurs « un président qui souffre », un « président contraint de déserter, petit à petit, le palais de l’Élysée pour se faire soigner à son domicile parisien ». Et il s’interroge. Faut-il rendre public l’état de santé réel du président? Faut-il envisager une démission? Ces questions, les Français se les poseront à leur tour après le décès du chef de l’Etat, à la découverte du secret qui entourait si bien ses « grippes à rechutes ».

Mitterrand et son « secret d’Etat »

Quelques années plus tard, François Mitterrand doit faire face à une situation similaire. Son cancer de la prostate est rendu public après une opération à l’hôpital Cochin, le 11 septembre 1992. Il a été diagnostiqué quatre mois seulement après son arrivée à l’Elysée, en septembre 1991. C’est ce que révèle son ancien médecin personnel, Claude Gubler, dans son livre Le Grand secret, publié peu après le décès de François Mitterrand le 8 janvier 1996. Une démarche tardive très peu appréciée par l’opinion publique.

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