L'opération militaire turque "Rameau d'olivier" a débuté en Syrie. © Xinhua

Comprendre l’offensive turque en Syrie en 3 questions

Le Vif

L’armée turque mène depuis samedi dans le nord de la Syrie une offensive aérienne et terrestre contre les Unités de protection du peuple (YPG), une milice kurde qu’elle considère comme « terroriste », mais qui est soutenue par Washington contre les jihadistes.

Pourquoi Ankara mène cette incursion dans la région d’Afrine, quels sont les risques de cette opération, et quelles peuvent être ses conséquences ?

Pourquoi Ankara attaque les YPG ?

La Turquie considère les YPG comme l’extension en Syrie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), une organisation classée « terroriste » par Ankara et ses alliés occidentaux, qui mène une sanglante guérilla sur le sol turc depuis 1984.

Par conséquent, Ankara voit cette milice comme une menace à sa sécurité nationale et lui impute plusieurs tirs de roquettes contre des villes frontalières turques depuis un an.

Le président Recep Tayyip Erdogan avait plusieurs fois menacé de lancer une opération contre Afrine, estimant que les YPG représentaient une menace pour la sécurité nationale de la Turquie.

L’offensive dans le nord de la Syrie vise à « libérer la zone en éliminant l’administration liée au PKK-YPG », a affirmé un haut responsable turc ayant requis l’anonymat.

Pour Max Hoffman, analyste au Center for American Progress, la Turquie est « profondément mécontente » de l’équilibre actuel des forces dans le nord de la Syrie, de plus en plus favorable aux Kurdes et au régime de Damas.

« Ankara redoute que, de facto, une entité kurde et très hostile envers la Turquie ne se constitue au sud de sa frontière », explique-t-il à l’AFP.

Les YPG ont été un allié de poids de la coalition anti-jihadistes en Syrie, étant à la pointe de l’éviction du groupe Etat islamique (EI) de son bastion de Raqa.

Le soutien croissant de Washington aux YPG, notamment en armes, a provoqué « une profonde préoccupation » en Turquie, souligne Abdullah Agar, un analyste militaire turc.

Quels sont les risques pour l’armée turque ?

Les autorités turques affirment qu’Ankara s’appuiera lors de cette offensive sur l’expérience accumulée lors d’une première incursion, lancée dans le nord de la Syrie entre août 2016 et mars 2017, contre l’EI, mais aussi les YPG.

« Nous allons nous servir de notre expérience amassée à Jarablos, Azaz et Al-Bab », trois localités prises à l’EI lors de cette opération, a indiqué le haut responsable turc.

M. Agar ne s’attend pas à une opération « facile », en raison notamment du nombre important de combattants kurdes, mais aussi de civils se trouvant à Afrine.

L’armée turque a affirmé que toutes les précautions étaient prises pour éviter des victimes civiles.

Mais si les YPG sont réputées pour leur discipline et leur âpreté au combat, elles auront du mal à repousser une attaque d’envergure menée par Ankara, estime Aron Lund, expert à la Century Foundation.

Les combattants kurdes « vont sans doute opposer une résistance acharnée, mais je ne sais pas de quel armement ils disposent et une attaque turque déterminée sera probablement difficile à repousser », dit-il à l’AFP.

« Si la Turquie décide de mobiliser des moyens importants dans cette bataille, et si la Russie et (le président syrien Bachar al-)Assad restent à l’écart, l’équilibre semble défavorable aux Kurdes », estime M. Lund.

Selon lui, les YPG vont s’efforcer d’obtenir une pression diplomatique sur la Turquie.

Quelles peuvent être les conséquences ?

Depuis le début de l’offensive turque, samedi, les observateurs s’interrogent sur de potentielles conséquences sur le processus de paix en Syrie, en particulier sur un « Congrès du dialogue national syrien » qui doit se tenir en Russie le 30 janvier.

Moscou avait déployé des militaires à Afrine, qui ont été retirés avant l’offensive d’Ankara, et entretient des relations cordiales avec les YPG. Mais celles-ci pourraient pâtir de l’incursion turque, estime M. Hoffman.

L’opération turque pourrait « enfoncer un coin » entre Moscou et les YPG, souligne l’expert, mentionnant un communiqué dans lequel l’aile politique de la milice kurde, le PYD, affirme tenir la Russie, autant que la Turquie, pour responsable de l’offensive d’Ankara.

Mais si la Turquie se retrouvait piégée dans un bourbier diplomatique et militaire, l’incursion turque pourrait avoir un impact sur la scène politique turque, souligne M. Lund.

« Erdogan s’efforce de rassembler une solide majorité à un moment important pour l’élection (législative et présidentielle) en 2019 », explique-t-il.

Dans cette optique, M. Erdogan pourrait vouloir mobiliser son électorat autour d’une ligne nationaliste, un pari à double tranchant.

« Une victoire militaire rapide et propre servirait ses intérêts, mais un fiasco profiterait bien entendu à l’opposition », résume M. Lund.

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