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Comment le peuple grec souffre de la crise

Dans son livre « Bienvenue en Grèce », Bruno Tersago, correspondant en Grèce depuis 15 ans, raconte comment les Grecs vivent la crise au quotidien. Hasard du calendrier, il sort juste au milieu d’un climax particulièrement tendu.

Bruno Tersago insiste : son livre n’est pas une analyse de la crise grecque, mais bien des instantanés du quotidien. « Je décris ce que je vois autour de moi : comment mes voisins, ma famille, mes collègues sont touchés par la crise et ce qui a changé dans la société. De manière crue, ce livre raconte moins la crise économique que la crise humanitaire qui en découle. Les Grecs sont en grande partie responsables de la crise économique. Cependant la soi-disant troïka (les inspecteurs de la commission européenne, la banque centrale européenne et le FMI ) est en partie responsable de la crise humanitaire. »

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

Certaines choses me pesaient trop sur le coeur. J’entends et lis des choses comme : « on a qu’à les laisser crever ». Cela je ne le comprends pas. Bien sûr, les Grecs sont en partie responsables de ce qui leur arrive, mais je trouve qu’on devrait montrer davantage de compréhension. Ce qui ne veut pas dire que je préconise la suppression des programmes d’aides. Je ne suis pas un économiste, je n’ai, pas plus que les autres, une solution pour sortir de l’ornière. Tout ce que j’espère c’est qu’il y ait plus de compréhension mutuelle.

Vous réfutez aussi quelques idées reçues sur les Grecs. Quelles sont celles qui vous choquent le plus ?

Que l’on considère que tous les Grecs sont des fraudeurs, que c’est un sport national de frauder l’impôt. C’est du non-sens bien sûr. Il y a aussi ce gros cliché qui consiste à dire qu’un grec sur deux est fonctionnaire. Ils sont près de 600.000, un chiffre que l’on peut comparer à la Belgique. Les vrais fraudeurs se trouvent dans les fonctions libérales, ceux qui peuvent travailler sans traces administratives. Pensez aux notaires, aux médecins ou aux avocats. Des métiers réputés pour être bien rémunérés. La même chose pour les marchands. Celui qui a déjà voyagé en Grèce l’a déjà vu. Le prix spécial: celui qui est moins cher si l’on paye en cash, sans TVA et sans ticket.

Beaucoup de Grecs ont fui le pays, vous songez à rentrer en Belgique ?

Ce serait la solution la plus évidente, je le concède. Mais j’ai construit ma vie ici et ma femme est grecque. On a parfois du mal à finir le mois. Cependant, il n’y a pas que du négatif. Il fait beau et la méditerranée n’est pas loin. Sauf qui si cela continue de cette manière, je risque bien de n’avoir d’autre choix que de quitter la Grèce.

Les sondages montrent que les Grecs ne sont pas pour un Grexit, mais est-il encore possible de continuer comme ça ?

Sortir ou non de l’euro. Je ne sais pas ce qui serait mieux pour la Grèce. Ce que je sais par contre c’est que le plan de soutien de 2010 n’a pas fonctionné. Alors pourquoi n’arrête-t-on pas de le marteler? On sait maintenant que la grosse partie de l’aide a servi à dédommager les banques, en France et en Allemagne, qui possédaient des dettes grecques. Seule une petite partie de l’aide a été versée aux Grecs. Je suis d’accord pour dire que l’on ne s’est pas assez focalisé sur la croissance. Si l’économie ne se redresse pas, le pays ne s’en sortira pas. Les Grecs continueront à s’appauvrir et personne ne voudra plus y investir. Il faut qu’il y ait un régime économique stable pour offrir des perspectives. On va introduire une nouvelle taxe sur les entreprises. Ce qui va achever de convaincre les entrepreneurs que ce n’est même plus la peine d’essayer. Mon sentiment est qu’il ne faut pas annuler les dettes, non, mais plutôt geler les remboursements pour pouvoir se concentrer sur la croissance économique. J’entends des économistes comme Paul De Grauwe, Geert Noels et Gert Peersman dire des choses qui vont sensiblement dans ce sens-là. Mais ce sont des décisions très difficiles politiquement.

C’est une période cruciale. Comment voyez-vous les prochains jours, semaines et mois ?

Si les propositions grecques sont acceptées, elles devront encore être soumises aux Allemands mais aussi au parlement grec. Et tout cela avant le 30 juin. Je suis persuadé qu’Alexis Tsipras n’arrivera pas à convaincre son parti. Peut-être que cela passera avec une majorité simple, mais cela signifiera de facto le chaos politique. Et en cas de nouvelles élections, je crains une victoire de l’extrême droite.

Groeten uit Griekenland

Bruno Tersago

ISBN 9789491297625

240p. – 20 euro

Avec le soutien du Fonds Pascal Decroos

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