© REUTERS/Alaa Al-Marjani

Comment l’Etat islamique renoue avec ses tactiques macabres pour forcer un retour en Syrie

Acculés en Syrie, les djihadistes du groupe Etat islamique (EI) tentent un retour en force en renouant avec les tactiques macabres et spectaculaires qui ont fait leur sinistre renommée, notamment les enlèvements et exécutions ciblant les minorités, jugent des experts.

La semaine dernière, l’EI a ainsi décapité un étudiant de 19 ans qui faisait partie d’une trentaine d’otages druzes enlevés en juillet dans la province méridionale de Soueida, où des assassinats et des attaques suicide coordonnées ont fait plus de 250 morts. Sur ses organes de propagande, l’EI avait revendiqué cet assaut de grande envergure, un des plus meurtriers menés par les djihadistes en Syrie.

Mais le groupe était resté muet sur les enlèvements. Loin des projecteurs, l’organisation ultraradicale mène toutefois des négociations pour échanger les otages druzes contre des commandants et des combattants djihadistes emprisonnés par le régime syrien, selon des sources locales et l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). « D’une part, ils tuent publiquement des gens, mais après en coulisse ils prennent des otages et procèdent à des échanges », confirme Hassan Hassan, expert au Tahrir Institute for Middle East Policy, think tank basé à Washington.

« L’organisation n’est plus que l’ombre d’elle-même »

« C’est ça la clé: tout ça fait partie d’une tentative de faire revivre ses cellules, reconstituer sa direction et ses effectifs avec des gens qui sont (…) détenus en prison », poursuit-il. Car aujourd’hui l’organisation n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. Après avoir proclamé en 2014 un « Califat » sur de vastes territoires à cheval sur la Syrie et l’Irak voisin, le groupe ne contrôle plus que des secteurs désertiques du centre et de l’est syrien, soit moins de 3% du territoire. Tristement célèbre pour ses attentats meurtriers en Europe, l’organisation ultraradicale a perdu les grandes villes qu’elle tenait -notamment Mossoul en Irak et Raqa en Syrie- tout comme elle a récemment été chassée de son bastion dans le sud de la capitale syrienne.

Riques d’attaques soudaines

Des dizaines de combattants djihadistes -notamment des étrangers- sont toujours détenus par le régime syrien ou par une coalition de combattants kurdes et arabes soutenue par Washington. Malgré les revers, l’EI risque de poursuivre « des attaques éclair soudaines, pour kidnapper des civils », prédit M. Hassan. « Le gouvernement est stable et sécurisé, mais les communautés sont durement touchées », poursuit-il. Et la cible des exactions djihadistes sont souvent les minorités.

« Une cible facile maximise l’impact, la douleur »

« Ils ont besoin d’une cible facile, comme quand ils attaquent l’Occident — une cible facile maximise leur impact, la douleur », souligne M. Hassan, qui évoque une stratégie de « diviser pour mieux régner ». Pour Fabrice Balanche, expert sur la Syrie, le groupe va « continuer à perpétrer des attentats » dans le pays et « les minorités seront toujours les principales cibles ». En février 2015, les djihadistes avaient kidnappé plus de 220 chrétiens assyriens, qui ont fini par être relâchés en échange de rançon.

Et en 2014, l’EI s’en était pris à la communauté Yazidie en Irak, poussant à la fuite des dizaines de milliers de ses membres, enlevant des milliers de femmes et d’adolescentes qui ont subi viols et esclavage durant leur captivité. « Les pratiques et exactions commises contre les civils druzes (…) ressemblent beaucoup à celles menées par l’EI contre les Yézidis en Irak », confirme Khattar Abou Diab, spécialiste du conflit syrien. Selon un haut dignitaire religieux druze, les négociations pour la libération des otages se font à travers la Russie, en coordination avec le gouvernement syrien.

Les djihadistes détiennent toujours 14 femmes de la communauté et 15 de leurs enfants. Photos et vidéos de l’étudiant décapité ont été envoyées par les djihadistes à sa famille, et ont été reprises sur les réseaux sociaux et dans les médias locaux, replaçant les djihadistes sous les feux des projecteurs.

Considérés comme des apostats par l’EI, les membres de la minorité druze, branche hétérodoxe de l’islam chiite, représentaient environ 3% de la population syrienne d’avant-guerre, soit environ 700.000 individus. Depuis le début du conflit qui ravage la Syrie depuis 2011, la communauté a tout fait pour se tenir à l’écart des violences, trouvant ainsi un accord fragile avec le régime: en échange de leur loyauté au pouvoir, les hommes de la minorité ne seront pas obligés de faire leur service militaire ni envoyés combattre loin de leur province de Soueida. Mais l’EI cherche à rompre ce lien fragile.

« Une attaque contre la communauté druze à Soueida a pour objectif de créer des troubles. C’est une tentative pour les pousser à se rebeller contre le régime », confirme Pieter Van Ostaeyen, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université de Louvain. « Après tout, c’est une vieille tactique de l’EI dans toutes ses incarnations: essayer de créer l’anarchie, et profiter du chaos pour prendre le contrôle ».

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