Dans les montagnes d'Icononzo, Colombie. © AFP/Raul Arboleda

Colombie: le désenchantement des Farc avant une présidentielle clé

Le Vif

L’élection présidentielle de dimanche en Colombie pourrait ruiner l’avenir politique de leurs chefs, mais une poignée d’ex-guérilleros des Farc s’échinent à aménager un terrain de football à l’aide de troncs d’arbre coupés à la machette.

Ces anciens rebelles ont voulu rester ensemble, avec 320 autres vétérans et proches, dans les montagnes d’Icononzo (Tolima, centre) après la signature de l’accord qui leur a rendu la paix à l’issue du plus long conflit armé d’Amérique.

A 20 ans, Giancarlos Morales trépigne. Plus que quelques minutes et il pourra tâter du ballon sur la terre battue qui fait office de stade. Pour la première fois, il va aussi profiter d’un Mondial sans bombes.

Quatre ans auparavant, il écoutait à la radio, caché dans la jungle, les buts marqués par James Rodriguez avec l’équipe nationale.

« Le pire ce sont les bombardements. On ne sait jamais où ils vont toucher. Tu t’allonges dans la tranchée que tu as creusée et tu espères que ça ne te tombe pas dessus », se souvient-il.

Giancarlos peut voter, mais cela ne l’enthousiasme pas autant que le foot, même si l’accord de paix est menacé par le candidat de droite Ivan Duque, dauphin de l’ex-président Alvaro Uribe et favori des sondages pour ce second tour.

Duque veut envoyer en prison les ex-chefs guérilleros responsables de crimes contre l’Humanité et leur barrer l’entrée du Parlement. Mais il promet des plans de réinsertion aux rebelles de base.

Un long processus

Son rival de gauche Gustavo Petro propose d’appliquer l’accord signé en 2016 et d’engager de profondes réformes, moins drastiques toutefois que celles que prétendait imposer l’ex-guérilla si elle prenait le pouvoir.

Giancarlos pense que Petro pourrait aider les pauvres. Mais le désenchantement affleure: « De toute façon, je ne crois pas qu’aucun des deux s’intéresse à nous », dit-il à l’AFP.

A Icononzo, Duque est arrivé en tête au premier tour du 27 mai avec 43% des voix contre 33% à Petro.

Berceau en 1964 des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), converties aujourd’hui en parti politique, Tolima est devenu un laboratoire d’expériences pour les ex-guérilleros en quête d’une nouvelle vie.

Sur ce territoire de formation et réinsertion Antonio Nariño, selon son appellation officielle, Giancarlos vit avec sa femme et leur bébé de 13 mois dans une maison préfabriquée. Un générateur électrique et une pompe à eau fournissent tout le camp.

Certains cultivent des haricots, d’autres s’occupent à des travaux d’aménagement. Mais l’ennui et l’inactivité se traduisent pour beaucoup par des kilos en trop.

Des 7.000 combattants qui ont déposé les armes l’an dernier, entre 3.000 et 5.000 sont regroupés dans 24 de ces territoires, selon le gouvernement. Les autres ont choisi de se débrouiller seuls.

« Un an et demi a passé depuis la signature de l’accord et il n’y a pas un seul projet productif qui fonctionne ici ou ailleurs », déplore Jhonier Montaño, un professeur de mathématiques de 34 ans, dont 17 le fusil en main. Il coordonne trois coopératives dédiées à l’agriculture, au tourisme, au textile et supposées assurer l’avenir des ex-guérilleros.

Le commissaire présidentiel pour la paix, Rodrigo Rivera, a admis que la réincorporation est un « processus long et dispendieux ». L’Etat envoie encore de la nourriture aux anciens rebelles car les programmes visant à leur auto-suffisance ne décollent pas.

Incertitudes de l’avenir

A la frustration s’ajoute une menace pire encore.

Depuis la signature de la paix jusqu’à mai dernier, 40 ex-guérilleros ont été assassinés. Derrière ces morts et les menaces, il y a selon le Parquet les dissidents qui ont rejeté l’accord et les narco-trafiquants du Clan del Golfo, le pire gang du pays.

« Ailleurs, on a tué les guérilleros qui s’échappaient des zones ou même à l’intérieur. Il vaut mieux rester ici, en sécurité », souligne Giancarlos.

Son épouse Blanca Isabel ajoute une autre préoccupation: « Si Duque l’emporte » s’en est fini des 700.000 pesos (environ 241 dollars). L’accord prévoit que chaque ex-guérillero reçoive cette rente mensuelle pendant deux ans et huit millions de pesos (2.800 dollars) en une fois pour financer un projet productif.

Malgré la menace qui plane sur leurs anciens chefs, les anciens rebelles écartent l’hypothèse de reprendre le combat. « Les armes ne sont et ne seront pas notre voie », affirme Jhonier.

Et en dépit de l’échec cuisant des législatives de mars, où le parti Farc n’a pas atteint 0,5% des voix, la politique reste un objectif.

« Il y a de nombreux cas en Amérique latine, comme le Salvador ou le Nicaragua, où les ex-guérilleros sont parvenus au pouvoir par les urnes », argue Laura Vega, membre du comité de réincorporation d’Icononzo.

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