Un graffiti de l'ELN sur l'entrée d'un cimetièreà El Palo, Colombie. © REUTERS/Jaime Saldarriaga

Colombie: l’accord de paix qui met un terme à un demi-siècle de conflit

Le Vif

La Colombie signe lundi un accord de paix historique avec la guérilla des Farc, mettant fin à 52 ans de conflit armé à l’issue de presque quatre ans de négociations facilitées notamment par la Norvège, pays garant du processus.

La Colombie vit lundi une journée historique avec la signature de l’accord de paix conclu avec la guérilla des Farc pour mettre fin à plus d’un demi-siècle d’une guerre fratricide, qui a fait des millions de victimes.

L’accord, conclu le 24 août à La Havane, doit être signé par le président Juan Manuel Santos et par le commandant en chef des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes), Rodrigo Londoño, plus connu sous ses noms de guerre de Timoleon Jimenez ou Timochenko.

Tous deux prendront la parole lors de la cérémonie prévue à partir de 17h00 (22h00 GMT) sur l’esplanade du centre des conventions de Carthagène des Indes, station balnéaire considérée comme la perle des Caraïbes (nord), en présence d’environ 2.500 personnes conviées à se vêtir de blanc, dont des victimes du conflit.

« Je ressens une grande émotion et une grande joie pour les Colombiens », a déclaré M. Santos dimanche. « Et je ressens un peu de peur pour le défi qui nous attend, de construire cette paix. Cela va requérir un très grand effort de tous les Colombiens », a-t-il souligné, selon un communiqué de la présidence.

Quinze chefs d’Etat latino-américains sont attendus, à commencer par le Cubain Raul Castro, arrivé dès dimanche et dont le pays a accueilli pendant presque quatre ans les pourparlers de paix, menés aussi sous les auspices de la Norvège, du Venezuela et du Chili.

La paix signée avec un ‘baligrafo’

Parmi les autres personnalités invitées pour cet acte sans précédent figurent le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon; son homologue de l’Organisation des Etats américains (OEA), Luis Almagro; ainsi que les secrétaires d’Etat américain, John Kerry, et du Vatican, le cardinal Pietro Parolin.

La présidente du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde et son homologue de la Banque mondiale, Jim Yong Kim, assisteront également à la cérémonie, d’une durée de 70 minutes et retransmise en direct à la télévision.

Au total, 27 ministres des Affaires étrangères, dont le Norvégien Borge Brende, ainsi que l’ex-roi d’Espagne Juan Carlos, les ex-présidents uruguayen José Mujica et mexicain Ernesto Zedillo, l’ancien chef du gouvernement espagnol Felipe Gonzalez et l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, seront aussi présents.

M. Brende, dont le pays a été l’un des facilitateurs des pourparlers de paix, a salué dimanche soir, lors d’une interview avec l’AFP, cet « accord historique » et « très complet », tout en avertissant que « mettre en oeuvre tout ce qui a été convenu va demander beaucoup de leadership ».

La cérémonie sera précédée à 08h00 (13h00 GMT) d’un hommage de M. Santos aux forces de l’ordre. Puis à 12h00, le cardinal Parolin mènera, en l’église San Pedro Claver, « une prière pour la réconciliation de tous les Colombiens », reprise au même moment dans « tous les lieux de culte » du pays. Un déjeuner réunira ensuite le président colombien et les hauts dirigeants présents.

M. Santos signera l’accord de paix avec un « baligrafo », stylo fabriqué à partir d’une balle de mitraillette ou de fusil, utilisée pendant le conflit, et qui porte l’inscription: « Les balles ont écrit notre passé. L’éducation notre avenir ». Il en offrira ensuite un à chaque chef d’Etat et au secrétaire général de l’ONU.

Les Farc, issues en 1964 d’une insurrection paysanne et qui comptent encore environ 7.000 combattants armés, ont ratifié l’accord de paix vendredi lors de leur Conférence nationale, organisée à El Diamante, au coeur de leur fief historique du Caguan (sud-est).

Trêve de la guérilla de l’ELN

Le conflit armé a, au fil des décennies, impliqué différentes guérillas d’extrême gauche, dont l’Armée de libération nationale (ELN, guévariste), encore active avec 1.500 combattants, des milices paramilitaires d’extrême droite et les forces armées, faisant plus de 260.000 morts, 45.000 disparus et 6,9 millions de déplacés.

L’ELN a annoncé dimanche une trêve unilatérale le temps du référendum du 2 octobre, lors duquel les électeurs doivent approuver l’accord de paix pour qu’il entre en vigueur.

« Nous avons décidé qu’il n’y aura pas d’actions offensives de l’ELN en ces jours du référendum pour faciliter la participation des gens » au scrutin, a déclaré Pablo Beltran, chef de l’Armée de libération nationale (ELN), dans une interview à la radio Nacional Patria Libre, organe de l’ELN.

Au total 2.700 policiers et militaires sont mobilisés pour assurer la sécurité de la signature de l’accord de paix, ainsi que 29 avions et hélicoptères, dont certains survolaient déjà Carthagène dimanche. Quatre navires et neuf vedettes surveillent en outre la côte.

Epargnée par la guerre, cette station balnéaire touristique -dont la ville coloniale fortifiée est classée au patrimoine mondial de l’Unesco- n’a pas de signification symbolique. Elle a plutôt été choisie pour ses infrastructures et préférée à la capitale Bogota dont l’altitude (2.600 m) aurait pu incommoder certains invités étrangers.

Trois questions à Dag Nylander

Facilitateur norvégien de ces négociations délocalisées à Cuba, et à Borge Brende, ministre des Affaires étrangères.

Quels ont été les moments compliqués des négociations et quels sont les principaux apports de cet accord avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes)?

Dag Nylander: « L’accord est la fondation pour procéder aux changements nécessaires en Colombie. (Il) contient les éléments nécessaires pour sortir du conflit armé et avoir une base afin de construire la paix en Colombie. »

« Les points les plus difficiles (…) ont été les moments où la réalité colombienne, le conflit, s’est imposé aux parties à La Havane (…) s’est réellement aggravé avec des morts de part et d’autre. Cela a eu un impact très dur sur les dialogues, a généré une crise à la table des négociations. »

« Selon moi, c’est un très bon accord qui va résoudre ce qui est nécessaire pour en finir avec le conflit et que les Farc puisse se convertir en un mouvement politique ». « (Mais) l’application n’est qu’un début. La Colombie doit beaucoup changer sur le plan politique (…) avec la participation d’un large spectre ».

« C’est une opportunité très grande pour ce pays (…) une réalisation énorme pour la Colombie, qui a tout le soutien de la communauté internationale. »

Quels sont les enjeux à venir pour l’application de cet accord de paix?

Borge Brende: « C’est un accord historique qui met fin à un conflit armé qui a duré cinquante ans, durant lequel des centaines de milliers de personnes ont été tuées, des millions déplacés. Donc cela prendra du temps pour s’assurer que l’application se fait correctement et dans le bon sens. »

« Cela a pris quatre ans pour parvenir à cet accord très complet (…) en matière de réforme agraire, de drogues, de participation politique, de justice transitionnelle (…) des sujets difficiles pendant les négociations. Mais mettre en oeuvre tout ce qui a été convenu va demander beaucoup de leadership. C’est pourquoi, nous aimerions continuer à collaborer avec le gouvernement colombien (…) aussi dans la phase d’application. »

Comment voyez-vous l’annonce par l’Armée de libération nationale (ELN, guévariste), seconde guérilla du pays, de la suspension de ses attaques en vue du référendum du 2 octobre sur l’accord avec les Farc?

Borge Brende: « Je pense que c’est positif. Nous verrons dans les prochaines semaines si de vraies négociations se mettent en place. » « Il est important que lorsque cet accord avec les Farc aura été approuvé, un accord puisse être trouvé aussi avec l’ELN (…) dans les prochains mois. » « S’il y a continuation du processus avec l’ELN (…) nous continuerons comme (pays) facilitateur. »

L’accord de paix comprend six volets:

– Fin des affrontements

Le 29 août à 00H00 (05H00 GMT) est entrée en vigueur le premier cessez-le-feu bilatéral et définitif.

Le cessez-le-feu sera vérifié par un mécanisme tripartite comprenant le gouvernement, les Farc et une mission de l’ONU.

La fin des hostilités inclut le désarmement des combattants rebelles sous contrôle de l’ONU, des garanties de sécurité pour les ex-combattants et l’engagement du gouvernement à combattre les bandes armées d’origine paramilitaire qui pourraient être tentées de prendre le contrôle des bastions des Farc.

Un total de 23 zones de sécurité et huit campements seront créés pour la démobilisation des guérilleros. Ils devront en sortir sans armes au plus tard 180 jours après la signature d’un accord de paix.

– Réparations aux victimes

En décembre 2015, les deux parties ont annoncé l’un des accords les plus complexes visant à apporter réparation aux victimes des Farc et sanctionner les responsables de délits graves.

Dans ce cadre, des tribunaux spéciaux seront créés pour juger les guérilleros et les agents de l’Etat impliqués dans des crimes liés au conflit.

Un total de 48 magistrats – dont 10 étrangers – devront juger ces personnes impliquées dans des crimes graves tels que les enlèvements, les viols, les déplacements forcés ou le recrutement de mineurs.

Ceux qui avoueront leurs crimes pourront éviter la prison et bénéficier de peines alternatives, mais dans le cas contraire ils s’exposeront à des condamnations de 8 à 20 ans de prison.

Toutefois, une grande majorité des combattants rebelles devrait être amnistiée.

– Narcotrafic

A partir des années 1980, le trafic de drogue a alimenté et aggravé le conflit. En mai 2014, les Farc ont noué un accord avec le gouvernement du président Juan Manuel Santos pour mettre fin aux cultures illicites dans leurs zones d’influence.

Il est prévu que les autorités maintiennent leur lutte contre le narcotrafic mais elles proposeront des sources alternatives de revenus pour les paysans ainsi qu’un programme de santé publique.

– Politique sans armes

Les Farc déposeront les armes pour devenir un parti politique.

Le gouvernement s’est engagé à octroyer aux Farc, de forme directe et temporaire, des sièges au Congrès. Des circonscriptions spéciales de paix seront également établies dans des zones particulièrement touchés par le conflit, où des représentants non issus de partis traditionnels pourront être élus.

Les représentants des Farc bénéficieront de garanties de sécurité pour éviter la répétition des épisodes sanglants de la fin des années 1980, lorsque furent assassinés quelque 3.000 militants de l’Union patriotique (UP), leur vitrine politique issue d’une précédente tentative de paix.

– Réforme agraire

La défense des paysans pauvres et des victimes de la violence de l’Etat et des grands propriétaires terriens est à l’origine de la naissance du mouvement rebelle en 1964.

En mai 2013, les Farc ont trouvé un accord avec le gouvernement prévoyant l’attribution de terres, l’accès au crédit et l’installation de services basiques en zones de conflit. Des millions de dollars d’investissements seront nécessaires pour financer ce volet sur le long terme.

– Ratification de l’accord de paix final

Un référendum sur les accords de paix sera organisé le 2 octobre prochain : un rejet par les Colombiens provoquerait leur annulation.

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