Tayyip Erdogan © Reuters

Climat de « guerre civile » en Turquie

Le principal parti prokurde de Turquie a mis en garde mercredi contre les risques de « guerre civile » dans le pays après avoir été la cible d’une vague de violences nourries par les affrontements meurtriers entre forces de sécurité turques et rebelles kurdes.

Pour la deuxième nuit consécutive, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de plusieurs villes turques pour dénoncer les « terroristes » du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et ont visé les locaux du Parti démocratique des peuples (HDP), accusé par le gouvernement de soutenir le groupe rebelle. « Ces attaques sont pilotées d’une seule main, celle de l’Etat », a accusé devant la presse à Diyarbakir (sud-est) le coprésident du HDP Selahattin Demirtas, « ils veulent provoquer la guerre civile et ce qui s’est passé depuis deux jours en est la répétition générale ». Le président islamo-conservateur turc, Recep Tayyip Erdogan, a vivement réagi à ces propos, accusant une nouvelle fois le HDP de parler le langage du terrorisme. « Un chef de parti parle d’une guerre civile, c’est insensé », a-t-il estimé, appelant les dirigeants du HDP à « choisir entre la démocratie et le terrorisme ». « Si vous vous rangez aux côtés du terrorisme, vous serez amenés à en subir les conséquences », a martelé le chef de l’Etat turc lors d’une conférence de presse avec le président du Conseil européen, Donald Tusk, en visite à Ankara. Aussitôt après l’intervention du président, le parquet de Diyarbakir a annoncé l’ouverture d’une procédure judiciaire contre M. Demirtas, bête noire de M. Erdogan, pour « insulte au président de la République », « apologie d’une organisation terroriste » et « incitation au crime ». Les procureurs réclament que le leader kurde soit déchu de son immunité parlementaire, a-t-on indiqué au parquet. Dans la capitale, des groupes de manifestants ont investi le quartier général du HDP et mis le feu à une pièce où étaient stockées les archives du parti. Un incendie a également dévasté le siège du mouvement à Alanya (sud).

M. Demirtas a recensé mercredi « plus de 400 attaques » visant son mouvement.

Un de ses collègues députés, Ertugrul Kürkçu, a même évoqué une « Nuit de cristal », en référence au pogrom ordonné par les nazis contre les juifs en 1938. A Istanbul, le siège du quotidien Hürriyet, proche de l’opposition, a, lui aussi, été attaqué mardi soir, pour la deuxième fois en quarante-huit heures, par des partisans du président Erdogan. Comme le Premier ministre, Ahmet Davutoglu, dès mardi soir, le porte-parole du gouvernement, Numan Kurtulmus, a « maudit » les auteurs de ces dérapages et nié tout lien avec eux. « C’est un mensonge », a-t-il assuré. A Washington, allié d’Ankara, le département d’Etat a qualifié ces violences « d’inacceptables ». Aux yeux de son porte-parole John Kirby, « il n’y a pas de place dans une démocratie pour des manifestations violentes, en particulier celles encouragées par de l’animosité partisane ou ethnique ».

Depuis fin juillet en Turquie, des affrontements meurtriers font rage entre l’armée et le PKK dans le sud-est à majorité kurde du pays. Ils ont fait voler en éclats les discussions engagées en 2012 par Ankara avec les rebelles.

Marche sur Cizre

Le sud-est est depuis plongé dans un état de guerre. Aux embuscades du PKK, qui ont provoqué la mort de 30 soldats ou policiers depuis dimanche, succèdent les représailles de l’armée contre les bases arrière du PKK en Irak. La situation est très tendue dans cette partie de la Turquie, quadrillée par les forces de sécurité. Des élus du HDP, M. Demirtas en tête, ont entamé mercredi une marche pour rompre le « blocus » imposé depuis six jours à la ville de Cizre où, selon eux, au moins sept civils ont été tués. M. Erdogan a aussi dénoncé cette initiative: « Vous êtes obligés de vous conformer aux lois, c’est tout », a lancé l’homme fort de Turquie. Cette escalade de la violence intervient à moins de deux mois des élections législatives anticipées convoquées le 1er novembre. Le chef du HDP a accusé M. Erdogan de souffler sur les braises du conflit kurde à des fins politiques. Lors du scrutin du 7 juin, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan a perdu la majorité absolue qu’il détenait depuis douze ans au Parlement, en partie à cause du très bon score (13%) réalisé par le parti prokurde. Le président fait campagne pour que son parti retrouve cette majorité, en vue d’établir un régime présidentiel fort.

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