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Chroniques syriennes: la guerre en son jardin

Troisième journée de notre reporter en Syrie. Depuis la province d’Idleb, un secteur réputé « libéré », il suit la progression de la guerre.

Enveloppé dans un linceul plastifié, le corps gît à l’entrée de la mosquée Aboubaker al-Sadiq d’Atmeh, village voisin de la frontière turque. Tandis que l’imam achève son prêche, un fidèle découvre la face et le buste de l’inconnu, baignés dans une flaque écarlate. Sur le torse, au-dessus d’un bandage sommaire, comme de part et d’autre du visage, on a placé des blocs de glace. C’est qu’il faut, par cette chaleur écrasante, conserver ce cadavre dépourvu pour l’heure de nom et d’âge. « Un civil, touché ce matin dans le dos par un éclat d’obus à Kafr Hamra, au nord-ouest d’Alep, raconte un témoin de l’agonie. On a tenté de le transporter jusqu’à notre hôpital. Mais l’homme perdait trop de sang. Il est mort en chemin. » Dans la tradition musulmane, on le sait, il convient d’enterrer le défunt sans tarder. Mais encore faut-il l’identifier, alerter la famille. « Nous allons diffuser sa photo sur Internet, poursuit le veilleur, en espérant qu’un parent le reconnaîtra. »

Même ici, aux confins de la province d’Idleb, dans un secteur réputé « libéré », la mort se sent chez elle. Et la guerre n’est jamais loin. Depuis la mi-journée, le fleuve des réfugiés d’Alep en route pour la Turquie et ses camps se gonfle de nouveaux affluents. A la mi-journée, un convoi de semi-remorques et de camionnettes venus d’Al-Dana a ainsi jeté l’ancre à Atmeh. Femmes et enfants somnolent à même les nattes déroulées sur la terre ocre, à l’ombre des figuiers et des oliviers. Quant aux hommes, ils couvrent à grand-peine leur détresse de rires bravaches. « Voilà deux jours que les bombardements ont repris, raconte Abou Shrada, tailleur de son état. Canons et hélicoptères. Où irai-je demain? Je n’en sais rien. On nous abreuve d’informations contradictoires. Certains veulent quitter le pays; d’autres attendre ici; d’autres encore parlent déjà de rentrer à la maison. Nous sommes des civils, sans armes, et ne voulons la mort de personne. Ce dont nous avons besoin avant tout, c’est d’un endroit sûr pour y abriter nos épouses et nos gosses. Dieu seul veille sur le peuple syrien. » Peut-être, mais d’assez loin…

L’armée de Bachar a envoyé une colonne blindée

On a senti le vent tourner la veille au soir et l’orage gronder au lever du jour, à mesure qu’enflait le sourd fracas des explosions. « L’armée de Bachar, précise un jeune insurgé, a envoyé une colonne blindée et deux hélicos d’attaque pour ravitailler et, si possible, dégager la vingtaine de tanks encerclés par nos forces près du poste-frontière de Bab al-Hawa, qu’ils espèrent reprendre dans la foulée. Avec le concours, comme toujours, des canons du 46e régiment d’artillerie, qui pilonne toute la région, d’Alep à la frontière via Idleb. » Vaine tentative, à en croire le chef rebelle Abou Saïd al-Oumari: les mines placées sous leurs chenilles auraient endommagé cinq chars ennemis.

Tant pis pour l’excursion à Taftanaz programmée ce mardi. « Trop dangereux, décrète notre guide Ahmed. L’itinéraire passe au beau milieu de la zone de combats ». A défaut, il fonce avec son oncle récupérer un combattant blessé pour l’acheminer vers l’une des cliniques d’Al-Dana. A 500 mètres du but, il faut rebrousser chemin, tant la menace de l’hélicoptère qui survole le quartier se fait pressante. Une moto prendra le relais. « Lui s’en sortira », assure Ahmed. Lui n’échouera pas dans un recoin de mosquée en « martyr » anonyme. Du moins pas cette fois.

Par Vincent Hugeux

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